Célébration

Dans son texte subtil, André Tubeuf souligne une vérité rarement entrevue : comme Yehudi Menuhin, Bronislaw Huberman fut un enfant prodige, puis un artiste humaniste, un philanthrope. Il faut savoir cela pour comprendre à quel point son génie musical s’incarne dans une dimension qui excède l’art de l’interprète : c’est un créateur à part entière. Son style sévère, sa maîtrise sont les réceptacles d’une émotion artistique qui firent pleurer Brahms lorsqu’il entendit ce gamin jouer son Concerto.

En juin 1934, réfugié dans cette Vienne encore relativement protégée des exactions nazies, avec les Philharmoniker et George Szell, Huberman grava patiemment, trois jours durant, une version restée légendaire du Concerto de Beethoven. Temps anormalement long pour une gravure directe en 78 tours, prix à payer pour une perfection de l’émotion et du propos plus encore que de la technique.

Enfant, entendant les 78 tours originaux, j’étais fasciné par ce grain unique, cet archet si dense et si mobile, qui phrase chaque note dans un détail de nuances où la ligne, la respiration ne se perdent pourtant jamais. Ce que chanter signifie. Il partage avec George Szell cette volonté de lire le chef-d’œuvre de Beethoven en classique, mais lorsque le Larghetto paraît, c’est la mélodie d’une âme qui s’élève, dont seul Menuhin, justement guidé en août 1947 dans ce même univers (et ce même style) par Wilhelm Furtwängler retrouvera à Lucerne mieux que le jeu, la philosophie. La guerre aura passé, Huberman se sera éteint deux mois plus tôt, mais le même ton de célébration, la même élévation dans le Larghetto font entendre à quel point Yehudi Menuhin avait compris, assimilé le geste d’Huberman.

Réunir dans une même réédition et dans un transfert aussi somptueux le Concerto et la sublime Kreutzer qu’il grava en 1930 à Londres avec son compatriote Ignaz Friedman, c’est rendre justice à un des violonistes les plus inspirés qu’a connus le XXe siècle. Album indestructible.

LE DISQUE DU JOUR

cover beethoven huberman wiener amazonLudwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 61
Sonate pour violon et piano No. 9 en la majeur, Op. 47,
« Kreutzer »

Bronislaw Huberman, violon
Ignaz Friedman, piano
Wiener Philharmoniker
George Szell, direction

Un album du label Warner Classics 0190295895167
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Photo à la une : © DR