Ballets à vingt doigts

Enfermer les orchestres du Roméo et Juliette et de Cendrillon de Prokofiev dans deux pianos ? Les libérer oui ! Arthur Ancelle s’est frotté à l’exercice pour Roméo et Juliette avec plus que de l’habileté, une pointe de génie, et des inventions surprenantes mais diablement efficaces comme ces doigts qui font tambourin au début des Masques.

Incroyable comme les deux claviers qu’il forme avec son épouse Ludmila Berlinskaïa se répondent et se complètent, les couleurs y sont jetées comme à baquets, mais c’est d’abord l’art du récit, d’un récit fait théâtre, qui fascine. Derrière Prokofiev, ils entendent Shakespeare, ce n’est pas rien, cela donne du sens aux décors, aux effets dont le grand bal des Capulets et des Montaigus est empli dès le tremolando des premières mesures, tisse un théâtre dont les épisodes produisent une dramaturgie imparable. Et puis quelle ivresse pianistique pour La Mort de Tybalt, quel art dans la construction d’une des pages les plus implacables qu’ait écrites Prokofiev. Si cette transcription ne s’impose pas au concert, alors les duos de piano sont inconscients.

Pour Cendrillon, Berlinskaïa et Ancelle reprennent la proposition absolument pianistique de Mikhaïl Pletnev, c’est foudroyant, joué avec une virtuosité dardée, incroyable plus d’une fois dans le contrôle (la course de La Dispute), et dans la suggestion (les deux Fairy), et soudain d’un lyrisme ténébreux assez inoubliable – la Valse de Cendrillon une fois entendue sous leur vingt doigts, ne s’oublie plus.

Depuis cet album qui date de 2014, Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle ont récidivé avec des disques consacrés à Tchaïkovski puis à Liszt, j’y reviendrais, pour demain, ils devraient songer à tout ce que Rachmaninov a écrit pour deux pianos.

LE DISQUE DU JOUR

cover prokofiev suites pianos ancelle berlins
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Roméo et Juliette, suite pour deux pianos d’après le ballet intégral (arr. Arthur Ancelle)
Cendrillon, Op. 87, suite pour deux pianos d’après le ballet (arr. Mikhaïl Pletnev)

Ludmila Berlinskaïa, piano
Arthur Ancelle, piano

Un album du label Melodiya MELCD 1002207
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Photo à la une : Le duo constitué des pianistes Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle – Photo : © DR