L’autre Russe

Récemment un double album Liszt signé Daniil Trifonov, présentant entre autre les Études d’exécution transcendante, m’était tombé des mains. Probablement car je venais tout juste d’entendre le même cahier sous les doigts de Kirill Gerstein : les couleurs, la virtuosité sans esbroufe, la profondeur de son clavier portant un discours épris de grandeur où l’effet n’avait aucune place m’avaient saisi.

À la réécoute patiente de son album Liszt, je n’en démords pas : la grande version récente des Transcendantes est ici, jusque dans un contrôle qui permet de tout faire entendre du projet de Liszt : transmuer la virtuosité en paysages, la maîtrise en poésie.

D’ailleurs, Kirill Gerstein soigne le cycle en le parant d’une imagination littéraire. Écoutez seulement le ton de sonnet qu’il donne à Paysage, ou la manière dont il transforme Mazeppa en récit. Je ne sais qu’admirer le plus, la perfection de la technique où jamais rien n’est frappé, où le timbre rayonne, ou ce sens d’une déclamation qui fait entrer tout un théâtre dans les tableaux d’atmosphère peints pas Liszt. Et cette façon d’aller jusqu’au bout de toutes les lignes, comme engagé dans un vertigineux combat pour en épuiser la sève y compris harmonique, quelle leçon !

En même temps que ces Transcendantes peintes à fresque, je recevais un disque de concertos couplant le Premier de Tchaikovski et le Deuxième de Prokofiev, avec pour le Tchaikovski une sacrée surprise : Kirill Gerstein grave en première mondiale la version 1879, qui transforme résolument le visage de l’œuvre : plus du tout une pièce d’estrade, mais bien un concerto-ballade dont le lyrisme donne enfin la main à l’admirable Second Concerto qui suivra dans le catalogue du compositeur de Casse-Noisette. Gerstein le joue ainsi, rhapsodique, replaçant sa virtuosité dans un ton de conte. C’est saisissant à quel point l’œuvre en est changé, patiemment relue également par James Gaffigan.

Leur Deuxième de Prokofiev tourne résolument le dos au romantisme, sarcastique, ironique, et soudain simplement factuel, histoire de faire contraste, joué droit et parfois carré, cela me dérange un brin (surtout dans l’Intermezzo, malgré l’idée maîtresse), mais la manière athlétique de Gerstein, ses doigts impeccables qui survolent le clavier – encore une fois cette façon de tout faire sonner sans jamais rien appesantir, écoutez son imperturbable Scherzo – restent stupéfiants.

Il faut maintenant que je m’intéresse à ses autres disques.

LE DISQUE DU JOUR

cover gerstein myrios liszt etudesFranz Liszt (1811-1886)
12 Études d’exécution
transcendante, S. 139
(Intégrale)

Kirill Gerstein, piano

Un album du label Myrios Classics MYR019
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cover tchaiko 1 gerstein myriosPiotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893)
Concerto pour piano No. 1
en si bémol mineur, Op. 23
(version 1879, premier enregistrement mondial)

Sergei Prokofiev (1891-1953)
Concerto pour piano No. 2
en sol mineur, Op. 16

Kirill Gerstein, piano
Deutsches Symphonie Orchester Berlin
James Gaffigan, direction

Un album du label Myrios Classics MYR016
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Photo à la une : © DR