Le piano de Shakespeare

Il y a parfois des petits miracles dans l’histoire du disque. Fouillant jadis dans les archives d’EMI France, nous tombions par hasard, Rémi Jacobs et moi, sur toute une session de Mazurkas de Chopin sous les doigts d’André Tchaikowsky, demeurée inédite, oubliée, et magique tant le texte y était recrée par un compositeur.

Car si André Tchaikowsky, enfant prodige échappé du ghetto de Varsovie dont le sort et l’histoire personnelle se recoupent avec ceux de Władysław Szpilman, le pianiste du film de Roman Polanski, fut lui-même un concertiste de première force, il s’entendait d’abord comme un compositeur.

Alors que paraissent enfin les épreuves du Concours Chopin 1955 – il était dans sa vingtième année – à nouveau, je suis saisi par cette capacité à recréer l’œuvre, non pas à la lire ou à l’interpréter, mais à me communiquer l’impression que l’encre en est à peine sèche.

Tout sonne avec une déconcertante évidence et pourtant rien ne reproduit l’image que les œuvres donnent habituellement. Un discours fusant les délivre des portées, une imagination sans frein fait entendre tout différemment, et d’abord dans l’harmonie toujours plus profuse, plus surprenante, plus révélatrice de l’aspect moderne du génie de Chopin.

Peu importe que l’émotion, palpable, fasse trembler ça et là les doigts, la musique si impérieuse venge l’artiste de tous les risques, et me transporte. Sommet de ces archives révélées, un Concerto en fa mineur très en verve, mené grand train, où s’instille un tension dramatique certaine, mais aussi une fantaisie poétique plus d’une fois surprenante.

À vingt ans, André Tchaikowsky connaissait son Shakespeare par cœur, et savait que toute musique est un théâtre. Peu après ce Concours Chopin où il remporta le huitième Prix, il songeait déjà à composer un opéra sur Le Marchand de Venise. Vingt six ans après, son opus majeur achevé, la mort le prenait, mais dans un facétieux pied-de-nez à la camarde, il légua son crâne à la Royal Shakespeare Theater Company, Yorick pour l’éternité. Écoutez-le, ici, piaffer le Finale du Concerto en fa !

LE DISQUE DU JOUR

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André Tchaikowsky
Concours Chopin 1955

Frédéric Chopin (1810-1849)
Nocturne en mi bémol majeur, Op. 55 No. 2
Impromptu No. 3
en sol bémol majeur, Op. 51

Étude en la min, Op. 25 No. 4
Polonaise-fantaisie en la bémol majeur, Op. 61
Prélude en ut dièse mineur, Op. 45
Étude en la bémol majeur, Op. 10 No. 10
Mazurka en ut mineur, Op. 56 No. 3
Mazurka en fa mineur, Op. 63 No. 2
Mazurka en si majeur, Op. 56 No. 1
Scherzo No. 4 en mi majeur, Op. 54
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en fa mineur, Op. 21

André Tchaikowsky, piano (Andrzej Czajkowski)
Orchestre Philharmonique de Varsovie
Zdzisław Górzyński, direction

Un album du label du “The Fryderyk Chopin Institute” NIFCCD 045
Acheter l’album sur le site du label www.sklep.nifc.pl

Photo à la une : © DR