Entrant dans les studios de Philips au milieu des années cinquante, Eduardo del Pueyo grava une version inégalée des Nuits dans les jardins d’Espagne de Manuel de Falla. Deux albums Granados suivraient. Né à Saragosse, il devait porter haut les couleurs des compositeurs ibères.
Mais le grand sujet de sa vie et l’objet de son art étaient depuis longtemps les Sonates de Beethoven. Dans les années vingt, tout jeune homme, ayant refusé l’enseignement de Marguerite Long, il médusait les mélomanes parisiens en donnant tout le cycle, le parant d’accents, de rythmes, de phrasés qu’on y entendait rarement. Finalement, il se retirera de la vie musicale dix années durant pour reprendre sa technique à zéro. Seul objet véritable de cette remise en question, aller plus loin dans les Sonates de Beethoven.
Philips lui consentit plusieurs sessions beethovéniennes après les albums espagnols, dominées par une Hammerklavier soufflante. Mais d’intégrale point. Finalement, elle vint bien plus tard, vers 1975, alors que Del Pueyo avait ajouté à ses concerts les cours très suivis dans le cadre de la Chapelle Musicale de la Reine de Belgique dont le sujet évidemment fut les Sonates. Salzbourg lui confiera tout un vaste cours sur le même sujet.
Et quelle leçon, radicale comme pas une, où le piano refuse le legato pour phraser plus haut, plus net, plus intense. Souvent cette manière unique déconcerte par ses accents, ses choix, son jeu au burin : l’Appassionata éclate littéralement les cadres du clavier, mais toutes les Sonates passent sous ce feu roulant d’acier et d’étoiles. Ce n’est commode ni à admettre ni même simplement parfois à entendre, mais Beethoven est bien cet absolu, qui tout au long de cette somme me prend à la gorge.
Un mystère entoure cet enregistrement qui revient enfin dans son intégralité en CD. Le coffret de microsillons original édité par Antoine de Wouters d’Oplinter pour le label Pavane, qu’il venait de créer, mentionnait licensed by CBS, d’un autre coté BASF qui en avait réalisé l’enregistrement – où ?, quand ?, rien ne le précise, et je n’ai jamais pensé à le demander à Del Pueyo lors de mes visites chez lui à Rhodes-Saint-Genèse – publia plusieurs microsillons séparés. Mais peu importe (?), voilà ce roc indomptable, irritant et fascinant, qui manquait tant à la discographie.
LE DISQUE DU JOUR
Ludwig van Beethoven (1756-1791)
Les 32 Sonates pour piano (Intégrale)
Eduardo del Pueyo, piano
Un coffret de 9 CD du label Pavane ADW 7073681
Acheter l’album sur le site du label www.laboiteamusique.eu ou sur Amazon.fr
Photo à la une : Le pianiste Eduardo Del Pueyo – Photo : © DR