Pour la gloire de Lalo

Dans l’œuvre de Lalo s’est écrit le romantisme classique français. Un style qui en musique serait l’équivalent de celui de Manet en peinture. Une sorte de perfection des formes qui n’exclut pas les aventures de la facture, les inventions du langage. Voilà que deux parutions me remettent justement mon Lalo en tête.

Les solistes de la Chapelle Musicale de la Reine Élisabeth, sous la direction attentive et inspirée de Jean-Jacques Kantorow, ont réuni tous les opus concertants, le noyau dur de l’œuvre de Lalo, où dans le carcan d’une forme son langage fut infiniment libre quitte d’ailleurs à le briser, ce que fait allégrement la Symphonie espagnole, suite de pièces de caractère et pourtant vraie symphonie et vrai concerto, qui ouvre ce triple album.

C’est rien moins que l’archet enflammé de Lorenzo Gatto qui l’entraine dans une Espagne aride, brûlante, un torero de Manet y surgit, jamais le sujet de cette œuvre célébrissime n’a été donné à voir avec une telle précision. Tout le reste de cette petite somme est de la même qualité et permet de découvrir des artistes prometteurs. Comme il est charmeur le violon de Woo Hyung Kim qui se colle à la piquante Guitare complétée par Pierné où à l’ambitieux Concerto de 1873. Elina Buksha déploie un grand son et un lyrisme intense dans le Concerto russe, alors que Valdyslava Luchenko fait assaut de virtuosité dans les pièces de caractère. Il faudra encore un peu de temps à Ori Epstein pour que s’ouvre la sonorité ombreuse de son violoncelle, mais son geste lyrique est d’une beauté ténébreuse que Jean-Jacques Kantorow accompagne avec émotion.

Et le Concerto pour piano ? Une des plus singulières partitions qui ait jailli de la plume de Lalo, secrète, symphonique, écrite pour Louis Diémer. Pierre-Alain Volondat l’avait enregistrée pour BIS, version magnifique. Nathanaël Gouin ne cède en rien à son glorieux ainé, joue tous les mystères de ce concerto-symphonie où Lalo a rassemblé le génie de sa maturité. Ce sera, avec La Jacquerie, son second opéra demeuré inachevé, l’ultime grand opus. L’Orchestre Royal de Liège se couvre de gloire, il devrait bien nous donner avec Kantorow toute l’œuvre symphonique, la Symphonie en sol attend sa grande version moderne depuis la gravure de Thomas Beecham.

Mais le génie de Lalo s’épanouit également au salon. Il avait une prédilection pour le trio avec clavier, forme qu’il poursuivit de sa jeunesse à sa maturité. Des Trios ? Des symphonies ! Écoutez seulement l’ultime, celui de 1880, son ton sombre rappelle que Schumann était l’idole des compositeurs français d’alors : Lalo déclarait volontiers : L’Allemagne est ma vraie patrie musicale.

Cela s’entend dans les Trios plus que dans toutes ses autres œuvres, ils résonnent tous les trois comme des manifestes pro-germanistes, guère éloignés en cela des opus de l’autre grand maître de la nouvelle musique de chambre d’alors, Alexis de Castillon. Les membres du Trio Leonore ont tout compris de ce triptyque qui au travers des décennies affirme un langage altier, libre aventureux, écoutez seulement les accents symphoniques qu’ils mettent au Presto du Troisième Trio, rappelant qu’à l’exemple de Beethoven, Lalo était un maître du Scherzo. Disque parfait, qui par la qualité de ses musiciens, surclasse les propositions précédentes signées par le Barbican Trio (ASV) ou le Trio Parnassus (MD+G).

LE DISQUE DU JOUR

cover-lalo-concertante-alpha-cvrEdouard Lalo (1823-1892)
Symphonie espagnole en ré mineur, pour violon et orchestre, Op. 21
Guitare en si mineur,
pour violon et orchestra,
Op. 28

Fantaisie norvégienne
pour violon et orchestre

Romance-Sérénade
pour violon et orchestre
Fantaisie-Ballet pour violon et orchestre (d’après Namouna)
Introduction et Scherzo pour violon et orchestre (d’après Namouna)
Concerto pour violon et orchestre en fa majeur, Op. 20
Concerto pour violoncelle et orchestre en ré mineur
Concerto russe pour violon et orchestre, Op. 29
Concerto pour piano et orchestre en fa mineur

Lorenzo Gatto, violon (Op. 21)
Woo Hyung Kim, violon (Op. 20, 28)
Vladyslava Luchenko, violon (Fantaisie norvégienne, Romance-Sérénade, Fantaisie-Ballet, Introduction et Scherzo)
Elina Buksha (Op. 29)
Ori Epstein, violoncelle
Nathanaël Gouin, piano
Orchestre Philharmonique Royal de Liège
Jean-Jacques Kantorow, direction

Un album de 3 CD du label Alpha Classics 233
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cover-lalo-trios-hyperionEdouard Lalo
Trio pour piano No. 1
en ut mineur, Op. 7

Trio pour piano No. 2
en si mineur

Trio pour piano No. 3
en la mineur, Op. 26

Trio Leonore
Benjamin Nabarro, violon
Gemma Rosefield, violoncelle
Tim Horton, piano

Un album du label Hypérion CDA68113
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Photo à la une : Portrait d’Edouard Lalo, par Alexandre Boileau – Photo : © DR