Bartók turque

Ulvi Cemal Erkin (1906-1972), vous connaissez ? Fut un temps où son œuvre la plus célèbre, Köçekçe une rhapsodie de danses que Kodály n’eut pas désavouée, courait le répertoire des orchestres : la Turquie était encore kémaliste et aspirait à jouer dans le grand concert européen. Avec quatre de ses confrères – dans ce groupe seul, Ahmet Adnan Saygun aura montré autant de génie – il fondera de toute pièce une musique classique turque construite sur les formes occidentales.

Mais pour l’imaginaire sonore, pour les thèmes et les couleurs, c’est toute la grande musique turque de l’Empire Ottoman qui s’est engouffrée dans la création d’Erkin. Du moins, la propagande politique espéra le faire croire. Si Erkin est sensible aux musiques de son « Empire disparu » comme il le disait lui-même, son art est absolument balkanique, et partant européen. Qui entend sa musique fait immédiatement le partage entre les saveurs anatoliennes, et une écriture plus proche de Bartók, Kodály, Enesco ou Vladiguerov que de quoi que ce soit d’absolument turque. C’est l’Empire à l’envers, l’empire dévoré, phagocyté par ses colonies, c’est Vienne après la Première Guerre mondiale, Istanbul inféodé à Bucarest et à Budapest.

Mais mon Dieu, quelle musique ! Comment résister au brio ravageur de Köçekçe avec lequel l’inusable Theodore Kuchar ouvre cet album que j’espère le premier d’une série. Il a le sens de cette musique, sacrifie autant aux taksim qu’à l’incroyable virtuosité de cette écriture, entraînant l’Orchestre Symphonique d’État d’Istanbul dans une furia de couleurs et d’accents, mais construisant aussi avec art le discours plus lyrique de la Deuxième Symphonie.

Chef-d’œuvre de l’album, le Concerto pour violon, œuvre folle, explosive, fascinante, dont le Finale en ostinato semble avoir été écrit pour David Oistrakh, qui hélas n’en sut jamais rien. Bravo à James Buswell de la ressusciter avec autant de brio, même si le live de la création européenne (Bruxelles) par la grande violoniste turque Ayla Erduran, publié il y a quelques années, nous semble d’une tout autre intensité expressive.

Et maintenant, vite !, un second volume dans cette série Naxos !

LE DISQUE DU JOUR

cover-erkin-naxosUlvi Cemal Erkin (1906-1972)
Köçekçe, danse-rhapsodie pour orchestre (1943)
Concerto pour violon et orchestre (1946-1947)
Symphonie No. 2 (1948-1951)

James Buswell, violon
Istanbul State Symphony Orchestra
Theodore Kuchar, direction

Un album du label Naxos 8.572831
Acheter l’album sur Amazon.fr

Photo à la une : © DR