Ombrageux

Les derniers albums de Nelson Goerner m’avaient laissé au bord du chemin. Pas celui-ci. Il entre dans le fulgurant portique de la Hammerklavier en posant le ton : ample, plus solennel qu’hymnique, sans la fureur, le precipitato qu’y mettaient le jeune Kempff ou Stephen Kovacevich. C’est pesé, joué profond dans le clavier, le discours s’y resserre et les phrasés parlent.

Cette manière sombre, presque sévère, correspond bien à toute une part de l’œuvre, son côté prospectif, proclamatoire, mais, est-ce le piano un peu gris, est-ce la prise de son tellement collée à la table, le tout manque pourtant d’espace, de rayonnement, simplement de couleurs. Ce noir et blanc frustrant devient admirable dans le vaste Adagio ici vraiment sostenuto, tenu, sans aucune étoile ; nuit noire où le chant se produit à l’intérieur de l’harmonie.

En place d’une autre sonate, Goerner referme son disque avec les dernières Bagatelles, produisant ce qui m’a d’abord paru comme un contre-sens génial : tant de pianistes les jouent comme des pièces d’humeur, quasi improvisées, lui au contraire les donne sans aucune licence, droit dans le texte, tendu, sombre encore, avec en place de la fantaisie une sorte de rage très beethovénienne, le côté furieux, impérieux, implacable.

Ah mais, et si demain, il nous faisait les autres Bagatelles et les Diabelli ? Ce serait œuvre utile, car ici s’incarne, enfin, l’essence de son jeu.

LE DISQUE DU JOUR

cover-goerner-alpha-beethovenLudwig van Beethoven (1770-18271)
Sonate pour piano No. 29
en si bémol majeur, Op. 106
« Hammerklavier »

6 Bagatelles, Op. 126

Nelson Goerner, piano

Un album du label Alpha 239
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Photo à la une : © Martin Wullich