Miroirs

Piet Tullenaar avait réuni pour Etcetera en un coffret de 10 CD une noria d’archives fabuleuses montrant toutes les facettes de l’art de Youri Egorov. Pourtant, feuilletant les programmes donnés à Amsterdam par le pianiste kazakh, je notais qu’il avait joué les Miroirs de Ravel au Concertgebouw. Damned ! Le concert n’avait pas été enregistré.

Quelle surprise alors de trouver le cycle de Ravel dans ce nouvel opus où Tullenaar rassemble des œuvres du répertoire d’Egorov encore inédites au disque – seule exception, La Campanella de Liszt, dont First Hand Records vient de publier une étincelante captation californienne.

foto Yori Egorov
Le pianiste Youri Egorov – Photo : (c) DR

Ce n’est pas le concert du Concertgebouw, mais l’écho d’un autre récital donné un mois plus tard dans la cadre plus intime du Ijsbreker, un centre culturel donnant sur les canaux, un lieu assez magique à vrai dire, doté d’un très beau Steinway.

La Radio néerlandaise y avait posé ses micros, captant ces MiroirsEgorov trouve le point d’équilibre entre une lecture parfaite, presque classique et des éléments étranges, fantasques, fulgurants qui rendent bien compte de l’univers quasiment vampirique qu’y déploie Ravel. Merveille dont je ne suis pas près de me lasser et qui me conforte dans l’idée que les pianistes russes – écoutez les Miroirs de Richter ou ceux d’Alexei Volodin – nouent des affinités électives avec ce cycle majeur du piano moderne.

Autre ajout décisif, huit Sonates de Scarlatti, prises au marathon organisé par la Radio néerlandaise qui avait réparti les 555 opus entre 57 clavecinistes ou pianistes. La plénitude du toucher, une fantaisie que certains trouveront sans noirceur soulignent comme dans les Miroirs à quelle diversité des timbres le jeune homme était parvenu.

Deux ans plus tôt, en 1983, il ose une Troisième Sonate de Prokofiev d’une vitalité irrépressible, piaffante, vivement colorée, avec des subtilités sciantes. Je le trouve encore plus à l’aise dans le ton populaire de la Suite Op. 14 de Bartók, jouée sans marteaux, véritable tableau de timbres convoquant toute une grammaire savante. Les Intermezzi Op. 117 de Brahms qui succèdent dans l’ordre voulu par Tullenaar sont désarmants de simplicité, chantés en lieder, tendres et brillants et pourtant de vraies musiques nocturnes. Par deux fois, la Chanson d’automne tirée des Saisons de Tchaikovski résonne dans cet album, quasiment à son début puis à la toute fin, coda d’une mélancolie absolue qui avive encore les regrets.

Et maintenant, si Piet Tullenaar se mettait en chasse des concerts américains ?

LE DISQUE DU JOUR

youri-egorov-autumn-songsBéla Bartók (1881-1945)
Suite pour piano, Op. 14
Johannes Brahms (1833-1897)
3 Intermezzi, Op. 117
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Prélude et Fugue en sol majeur, Op. 87 No. 3
Franz Liszt (1811-1886)
Etude No. 3 en sol # mineur,
« La Campanella »

Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour piano No. 3 en la mineur, Op. 28
Maurice Ravel (1875-1937)
Miroirs
Domenico Scarlatti (1685-1757)
Sonates pour clavier, K. 9, 32, 87, 125, 159, 322, 380, 518
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Thème et Variations en fa majeur, Op. 19 No. 6
Les Saisons, Op. 37a (extrait : Automne, 2 versions)

Youri Egorov, piano

Un album de 2 CD du label Etcetera KTC 1520
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Photo à la une : © DR