L’école du Ballet

On l’oublie trop, Gennadi Rozhdestvensky commença sa carrière de chef d’orchestre au Bolchoï de Moscou. Nikolai Golovanov l’engage comme stagiaire alors qu’il n’a que vingt ans : quelques mois à rafistoler des partitions usées avant qu’un jour il lui demande de prêter son concours au directeur musical des ballets, Yuri Fayer, fatigué par des années de bons et loyaux services. Fayer lui ordonne de se placer derrière lui et de l’imiter. C’est ce qui s’appelle apprendre par l’exemple. Il ne l’imite pas, mais l’observe, et surtout scrute les pas des danseurs, sachant bien que c’est là que se joue la partie.

Le ballet fut donc sa première école, il y conforma sa gestique si particulière, la plus personnelle et inventive qu’ait connu la direction d’orchestre depuis Willy Ferrero. Melodiya a capté un irrésistible Casse-noisette, son Lac des Cygnes est tout aussi impérissable, sa Belle au bois dormant mériterait une réédition, mais au disque ce sera pourtant la grande anthologie des ballets de Prokofiev qui restera comme le témoignage le plus abouti de cette partie de son art.

Et quel art ! Jamais le strict réglage de la danse en scène n’empêche la symphonie descriptive des timbres, les à-pics du discours dramatique, l’impact visuel des phrasés, et surtout, l’orchestre sonne avec une précision diabolique : il suffit d’entendre les vastes appareils démonstratifs de Roméo et Juliette pour se rendre compte à quel point ils sont à la fois transparents et implacables.

Cendrillon est pris souvent avec une nuance d’ironie où le pastiche brille plus encore, mais lorsque minuit sonne, la terreur est garantie. Merveille de l’ensemble, Chout, où Rozhdestvensky se régale de l’écriture persiffleuse qu’y osa un Prokofiev alors encore absolument libre d’écrire ce qu’il voulait comme il voulait.

Aujourd’hui, à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance du compositeur, Melodiya réunit ces gravures impérissables et splendidement captées en les dotant d’un remastering exemplaire et en les embellissant par une édition digne de leur caractère historique : le livret documente en son centre les diverses productions des ballets dans un éblouissant portfolio en noir et blanc. L’éditeur ajoute une archive saisissante où Prokofiev dirige en 1938 la Deuxième Suite de Roméo et Juliette : il était revenu depuis cinq années dans ce pays natal qui lui serait un tombeau.

Espérons pour demain la trilogie Tchaikovski mais aussi les « 21 Symphonies » de Bruckner : Rozhdestvensky resta longtemps le seul à avoir enregistré l’intégralité de toutes les versions de chacune des neuf Symphonies.

LE DISQUE DU JOUR

cover prokofiev rozhdestvensky melodiyaSergei Prokofiev (1891-1953)
Roméo et Juliette,
ballet intégral, Op. 64

Cendrillon,
ballet intégral, Op. 87

Chout, Op. 21
Le Pas d’acier, Op. 41
Le Fils prodigue, Op. 46
Sur le Borysthène, Op. 51
Fleur de pierre, Op. 118

Orchestre du Théâtre Bolchoï
Orchestre Symphonique du Ministère de la Culture de l’URSS
Orchestre Symphonique de la Radio de Moscou
Gennadi Rozhdestvensky, direction

Un coffret de 9 CD du label Melodiya MELCD102430
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Photo à la une : © Wladimir Polak