Le chainon manquant

Longtemps, le piano de Liapounov se limita pour les discophilies à un album : celui que Louis Kentner consacra aux Études d’exécution transcendante, pages brillantissimes et inspirées qui pourtant n’encouragèrent pas les pianistes, sinon Anthony Goldstone dans le cadre de son anthologie du piano russe – à aller voir plus loin ; jusqu’à ce qu’un jeune homme de vingt-trois ans affiche crânement dès son second CD un plein disque consacré à d’autres œuvres pour piano, toutes enregistrées en première mondiale.

Exit les Études, un florilège de Mazurkas piqué de Valses, une Tarentelle, et immédiatement la certitude de découvrir un corpus essentiel de la musique de clavier russe, à égalité avec ceux laissés par Balakirev ou Tchaïkovski. Le disque indiquait « Works for piano Vol. 1 », promesse d’une vaste anthologie sinon d’une intégrale ? On était en 2013.

Trois ans plus tard, après deux autres albums, voici que le jeune prodige revient à Liapounov, et dès la dionysiaque Novelette qui ouvre le disque, ce piano qui sonne telles des cloches à la volée et dont la virtuosité de haute école subjugue, quel plaisir irrépressible !

Cette musique est prodigieuse d’esprit, d’invention, de brio et de nostalgie. Quelque chose de plus libre, de plus conquérant s’y affirme dans le jeu pianistique si plein et si volatile – je pense souvent à la notion de volando que Scriabine notait sur ses partitions – qu’y déploie Florian Noack, aussi dans la profusion harmonique et dans cette suractivité rythmique qu’il aura appris à faire sien en fréquentant le clavier indomptable de Nikolaï Medtner.

Et c’est bien à Medtner que je pense plus d’une fois devant la complexité de ces œuvres qui ne sont pas seulement des dithyrambes, mais savent aussi prendre des couleurs d’orages : écoutez seulement ce chef-d’œuvre que sont les Variations et Fugue sur un thème russe, écoutez cette science pianistique qui enflamme tout le piano pour le transformer en un clavier d’orgue (dommage de ne pas avoir plagé chaque variation….). Si l’on peut faire un parallèle entre Medtner et Brahms, comment ne pas s’apercevoir des affinités électives entre Liapounov et Schumann ?

Ce nouveau continent du piano russe semble inépuisable, il y aura une suite qui permettra de mieux apercevoir la place singulière qu’occupe ce compositeur jusque-là relativement délaissé, simplement le père spirituel de la géniale triade du piano russe du début du XXe siècle : tout juste une génération aura séparé Liapounov de ses héritiers spirituels.

LE DISQUE DU JOUR

cover lyapunov noackSergei Liapounov (1859-1924)
L’Œuvre pour piano, Vol. 1
Valse pensive en ré bémol majeur, Op. 20
Tarantelle en si bémol mineur, Op. 25
2 Mazurkas, Op. 9
Valse-Impromptu No. 1 en ré majeur, Op. 23
Mazurka No. 6 en sol majeur, Op. 24
Mazurka No. 4 en la bémol majeur, Op. 19
Valse-Impromptu No. 2 en sol bémol majeur, Op. 29
Mazurka No. 3 en mi bémol mineur, Op. 17
Mazurka No. 5 en si bémol mineur, Op. 21
Valse-Impromptu No. 3 en mi majeur, Op. 70
Mazurka No. 7 en sol dièse mineur, Op. 31
Mazurka No. 8 en sol mineur, Op. 36

Florian Noack, piano

Un album du label ARS Produktion 38132
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florianlSergei Liapounov
L’Œuvre pour piano, Vol. 2
Novelette, Op. 18
Barcarolle, Op. 46
Humoreske, Op. 34
3 Pièces, Op. 1
7 Préludes, Op. 6
Chant du crépuscule, Op. 22
Variations et Fugue sur un thème russe en ré dièse mineur, Op. 49
Fêtes de Noël, Op. 41

Florian Noack, piano

Un album du label ARS Produktion 30209
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Photo à la une : © DR