Egorov vivant

En 1977, le Concours Van Cliburn connut un dilemme : le jury donna ses suffrages à Steven DeGroote, mais le public engageait une souscription pour soutenir un jeune pianiste kazakh qui l’avait enthousiasmé : Youri Egorov. Comme me le rappelait il y a quelques temps Tom Deacon, DeGroote comme Egorov devaient être emportés par le sida douze ans plus tard, le Russe le 16 avril 1988, le Sud-Africain le 22 mai 1989.

Mais la découverte des États-Unis et de son vent de libertés multiples consola rapidement Egorov. Il songea longtemps à s’établir de l’autre côté de l’Atlantique, il l’aurait probablement fait si l’amour de sa vie n’avait vécu à Amsterdam. En tous cas, chaque fois qu’il se produisait aux États-Unis, un miracle advenait. Son art déjà si libre et si assumé trouvait comme un degré supplémentaire d’inspiration. Le concert donné le 3 avril 1980 à l’Ambassador Auditorium de Pasadena, salle à l’acoustique parfaite, illustre cette conjonction quasiment parfaite entre l’inspiration et la maîtrise technique.

Si les Études de Chopin montrent quelques rares pailles, elles font entendre le clavier d’Egorov dans ce qu’il a de plus volatile, des couleurs surnaturelles que seule une technique transcendante permet. Cette imagination sans frein expose un piano magnifique, réglé avec art, clavier léger et profond, où tout chante sans appui. C’est exactement comme cela que Cortot faisait ses Études, Egorov le savait-il ? Curieux de tout comme il l’était, probablement. En tous cas, il va bien plus loin ici que dans la gravure plus stricte consentie en 1978 au label Musical Heritage Society (reprise par EtCetera).

Le concert s’ouvre avec la Fantaisie en ut mineur de Mozart, une de ses œuvres favorites – elle figurait dans son programme pour Carnegie Hall en 1978 – où il exalte les contrastes en ouvrant l’échelle dynamique : la beauté inquiète du premier thème avec cette main gauche impondérable a quelque chose de schubertien. Mais ce qui rend ce concert impérissable reste la Fantaisie de Schumann, passionnée et pourtant d’une structure parfaite, où l’élan de l’inspiration le guide à chaque mesure. Admirable à un point qui interdit le commentaire.

Un bis seulement : Reflets dans l’eau rappelle quel maître de la couleur il fut, chez lui dans l’univers debussyste autant que ses grand aînés Richter et Gilels. L’éditeur ajoute une Campanella flamboyante et tenue, d’un goût absolu, tirée d’un concert dans la même salle donné le 12 février 1978. Et si First Hand Records l’éditait intégralement ?

LE DISQUE DU JOUR

cover egorov pasadena fhrYouri Egorov
The 1980 Ambassador
Auditorium Recital,
Pasadena

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Fantaisie en ut mineur, K. 475
Frédéric Chopin (1810-1849)
12 Études, Op. 25
Robert Schumann (1810-1856)
Fantaisie en ut majeur, Op. 17
Claude Debussy (1862-1918)
Images, Livre I (extrait : Reflets dans l’eau)
Franz Liszt (1811-1886)
La Campanella

Youri Egorov, piano

Un album du label First Hand Records FHR44
Acheter l’album sur le site du label First Hand Records ou sur Amazon.fr – Télécharger l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © DR