Le Tombeau du Poète

Peu importe au fond que Guillaume Lekeu soit mort à Angers dans sa vingt-quatrième année le 21 janvier 1894, empoisonné par un sorbet qui lui fit contracter la typhoïde : il avait déjà donné toute la mesure de son génie qui se résume dans la nuit étoilée de son Adagio pour quatuor d’orchestre, musique inouïe.

En 1891, il écrivait pour le jury du Concours de Rome une cantate pleine de caractère qui tranchait sur les compositions d’usage : Andromède. Surpris, comme alertés par le ton génial de cette musique, les siégeants lui donnèrent le Second Prix, et son collègue Eugène Ysaÿe lui demanda d’écrire une Sonate pour son instrument qui sera son chef-d’œuvre et maintiendra son nom vivant, nombre de violonistes voulant s’y confronter, de Menuhin à Ferras en passant par Lola Bobesco ou Arthur Grumiaux.

Mais cette partition si parfaite, qui renouvelait à l’égal de la Sonate de Georges Antoine la littérature écrite pour l’instrument depuis Franck laissait dans l’ombre quarante-sept autres opus. Ils y dormirent longtemps, jusqu’à ce qu’Armin Jordan enregistre pour Erato l’Adagio et la Fantaisie sur deux airs populaires angevins. Révélation qui resta sans réels lendemains. Mais enfin, tout jeunes gens que nous étions alors, l’Adagio nous poursuivait, on l’écoutait en boucle et ensemble. A la même époque, les Symphonies d’Albéric Magnard échappaient elles aussi au purgatoire.

Finalement, la chance de Guillaume Lekeu aura été d’être né belge et qui plus est pas très loin de Liège. Jérôme Lejeune décida qu’il enregistrerait pour son label Ricercar toute l’œuvre afin qu’elle parût au complet pour le centenaire de la disparition de l’artiste, les micros furent ouverts dès 1987, il fallait parfois éditer la musique, corriger des éditions approximatives en revenant aux manuscrits, et surtout mettre en répétition des œuvres disparues du répertoire, largement de quoi faire si on voulait être au rendez-vous.

Cette somme enthousiaste, la voilà réunie dans un coffret artistement ouvragé, au livret abondamment documenté. Le portrait en pied d’un artiste génial joué par la fine fleur des instrumentistes belges, les œuvres d’orchestre étant portées par l’Orchestre Philharmonique de Liège sous la baguette de son directeur historique, Pierre Bartholomée.

Perle absolue de l’ensemble, justement la Sonate pour violon et piano. On est en décembre 1991, Philippe Hirshhorn retrouve Jean-Claude van den Eynden et signe l’un de ses plus grands disques, cinq années avant sa mort prématurée. Ecoutez la tristesse de son archet, sa douloureuse plénitude.

LE DISQUE DU JOUR

cover lekeu integrale ricercarGuillaume Lekeu (1870-1894)
« Les Fleurs pâles du souvenir »
Intégrale de l’Œuvre du compositeur

Sonate pour piano et violon en sol majeur, V. 64
Quatuor avec piano (inachevé) en si mineur, V. 62
Choral pour violon et piano, V. 44
Andantino semplice, pour piano, V. 93
La Fenêtre de la maison paternelle, V. 77
Les Pavots, V. 80
Méditation pour quatuor d’instruments à cordes en sol mineur, V. 48
Menuet pour quatuor à cordes, V. 49
Molto adagio sempre cantante e doloroso pour quatuor à cordes, V. 52
Adagio religioso pour piano, V. 84
Tempo di mazurka pour piano, V. 106
Morceaux égoïstes, pour piano
Allegro marcato pour piano, V. 85
Berceuse et valse pour piano, V. 95 (Pot-pourri – Intermède comique)
Andante pour piano, V. 86
Thema con variazioni pour trio à cordes, V. 66
Quatuor en sol majeur, V. 60
etc.

Un coffret de 8 CD du label Ricercar RIC351 (Collection « Les Pléiades »)
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Photo à la une : © DR