Deux Russes à Londres

Londres, début des années cinquante. Walter Legge confie son Philharmonia Orchestra à deux chefs russes qui se vouaient une profonde estime mutuelle : Nikolai Malko et Issay Dobrowen, purs produits de l’école de direction impériale.

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La couverture du LP His Master’s Voice, dédiée à la 9è Symphonie de Dvorak, la « Nouveau Monde » (à l’époque encore considérée comme la 5è) – Photo : (c) DR

Malko étudia au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, apprenant sa gestique mesurée auprès de Nicolas Tcherepnine, Dobrowen, son cadet de sept ans, fut formé à Moscou avec plus de liberté : il se voulait d’abord compositeur et laisse d’ailleurs une œuvre inspirée que l’on commence à découvrir. La révolution le propulsera un temps au Bolchoï où il dirige tout le répertoire national. Des années plus tard, c’est à Paris qu’il enregistrera une version stupéfiante de Boris Godounov, la seule que je mette à égalité avec celle de Golovanov qui doubla les scènes de Boris, avec Reizen puis avec Pirogov. Dobrowen disposait lui du jeune Boris Christoff.

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La couverture originale du LP consacrée à la suite Schéhérazade Rimski-Korsakov, par Issay Dobrowen – Photo : (c) DR

Mais dans les studios londoniens d’His Master’s Voice, il enregistrait en 1951 une prodigieuse version de la Schéhérazade de Rimski-Korsakov, narrative, sculptée, où s’épanouissait le chant éperdu du violon de Manoug Parikian, version splendide restée jusqu’ici dans les oubliettes du microsillon. Bravo à Opus Kura de nous la restituer dans d’aussi bonnes conditions, complétée avec la Suite du Tsar Saltan d’un raffinement sonore inouï que semble s’ingénier à détruire une ironie constante : écoutez un peu comme ces phrasés mordent ! Dommage que l’éditeur ait oublié l’autre face du microsillon qui offrait une Suite du Coq d’or de la même trempe.

Les gravures de Malko sont mieux connues – sa Quatrième Symphonie de Tchaikovski sans pathos, dirigée très droite anticipe sur celle de Mravinsky, son Ouverture « 1812 » menée grand train est un modèle de style mais la surprise de ce disque qui hélas n’a pas bénéficié de microsillons en aussi bon état que ceux utilisés pour l’album Dobrowen, reste l’Ouverture d’Obéron : la délicatesse des couleurs, le mystère des phrasés, l’atmosphère irréelle des premières pages, puis l’ardeur du thème conquérant rappellent que Malko était chez lui dans le romantisme allemand. Tout ce qu’il a gravé pour His Master’s Voice mériterait de reparaître dans un album monographique. Qu’attend Warner qui détient aujourd’hui les sources originales ?

LE DISQUE DU JOUR

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Nikolai Rimski-Korsakov (1844-1908)
Schéhérazade – Suite symphonique, Op. 35
Contes du Tsar Saltan – Suite d’orchestre d’après l’opéra, Op. 57

Philharmonia Orchestra
Issay Dobrowen, direction

Un album du label Opus Kura OPK7068
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Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Symphonie No. 4 en fa mineur, Op. 36
Ouverture solonnelle, Op. 49 « 1812 »
Carl Maria von Weber (1786-1826)
Obéron – Ouverture, extraite
de l’opéra

Philharmonia Orchestra
Nikolaï Malko, direction

Un album du label Opus Kura OPK7071
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Photo à la une : Un détail de la couverture du LP dédiée à la 6è de Tchaikovski par Nikolai Malko parue sur le label His Master’s Voice – Photo : © DR