Musique de l’œil

La musique se voit dans la peinture vénitienne, mieux, elle se montre, de la trompette de la Gloire de Giuseppe Angeli au « concertino » qui accompagne les joueurs de cartes de Pietro Longhi nommant d’ailleurs son tableau. Instruments pour les scènes mythologiques ou les « moralités », fresques où se mirent la dramaturgie du théâtre d’opéra que Venise invente puis réinvente sans cesse, concerts de cordes et de bois qui rappellent la pratique instrumentale intimement liée aux Ospedali, c’est tout ce répertoire pictural qu’Olivier Lexa parcourt au long des deux cent pages du livre d’art qu’il consacre à ce sujet inusable : « La musique à Venise ».

Période : de Monteverdi à Vivaldi ; sujet : toiles, fresques, apparat, pratique domestique, et évidemment opéra où entre décors, costumes, dramaturgie, l’auteur suit l’évolution du goût vénitien. En refermant cet ouvrage magnifique qui va chercher parfois dans les parts les moins courues du répertoire pictural de la Sérénissime, je me dis que le sujet n’avait pas été traité avec tant d’à propos et une si profonde sensibilité.

C’est qu’Olivier Lexa « entend » cette peinture musicale dans les deux acceptations du terme. Il est l’auteur de la première biographie française de l’autre père de l’opéra vénitien avec Monteverdi, Francesco Cavalli – en fait pour moi, son véritable créateur – un ouvrage très documenté au style enlevé que l’on retrouve toujours aussi brillant et juste dans le nouveau venu, comme dans le prologue qui pare le magnifique livre-disque concocté par Mariana Florès et Leonardo García Alarcón, où se résume en ses pages les plus éloquentes ou les plus touchantes tout le théâtre lyrique de Cavalli. Un brillant portrait croisé de Cavalli et de ses dramaturges signé par Jean-François Lattarico, une note d’intention sur les choix musicaux (et partant musicologiques) où Leonardo García Alarcón justifie l’entreprise, tous s’effacent devant la musique de Cavalli, sensuelle et rêvée, alerte et sensible, allant de la vis comica au drame en un battement d’archet. C’est merveille de parcourir ce théâtre des sentiments et des affettiMariana Florès endossent tant de personnages et varie ses états d’âmes avec tant d’art. L’ouvrage est superbe, on tient là le reflet sonore du livre d’Olivier Lexa.

Hasard des publications, voici que Christina Pluhar et son Arpeggiata font aussi leur voyage chez Cavalli. Prétexte plutôt qu’objet, cette fois la musique du vénitien disparaît sous le continuo opulent, les réécritures pseudo-postmodernes, vêtue d’un manteau scintillant. Ce strass, ces paillettes qui viennent masquer les émotions si savament dévoilées par Florès et Alarcón incommodera certains. Mais enfin, Nuria Rial et Hana Blažíková mettent bien du caractère à ces pages célèbres tirées des ouvrages les mieux repérés de L’Ormindo, La Calisto, Il Giasone, L’Artemisia. Et puis on n’a jamais assez de Cavalli chez soi !

LE DISQUE DU JOUR

cover cavalli alarcon flores ricercarFrancesco Cavalli
(1602-1676)
Heroines of the Venitian Baroque

Airs et scènes, extraits des opéras (Le nozze di Teti e di Peleo, Gli amori d’Apollo e di Dafne, Didone, La virtù dei strali d’Amore, Egisto, Ormindo, Doriclea, Giasone, Orimonte, Oristeo, Rosinda,
La Calisto, Eritrea, Veremonda, l’amazzone di Aragona, Orione, Ciro, Xerse, Erismena, Statira principessa di Persia, Artemisia, Hipermestra, Elena, Ercole amante, Scipione affricano, Mutio Scevola, Pompeo magno, Eliogabalo)

Mariana Florès, soprano
Anna Reinhold, mezzo-soprano
Marine Chaboud, mezzo-soprano
Igor Tchernov, baryton-basse
Clematis
Cappella Meditterranea
Leonardo García Alarcón, direction
Un livre-disque de 2CD du label Ricercar RIC359
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cover cavalli pluhar erato
L’Amore innamorato

Francesco Cavalli
(1602-1676)
Airs et scènes, extraits de ses opéras (Ormindo, Giasone,
La Calisto, Rosinda, Artemisia, Eliogabalo)

Giovanni Girolamo Kapsperger (1580-1651)
Toccata prima (extrait du Libro quarto d’intavolatura di chitarrone)
Andrea Falconieri (1585-1656)
Sinfonie, « La suave melodia »(extrait d’Il primo libro di canzone)

Nuria Rial, soprano
Hana Blažíková, soprano
L’Arpeggiata
Christina Pluhar, direction
Un livre-disque de 1CD et 1DVD du label Erato 0825646166435
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POUR EN SAVOIR PLUS SUR CAVALLI

Les deux références bibliographiques
Olivier Lexa, La musique à Venise – Actes Sud, un livre d’art de 200 pages
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Olivier Lexa, Francesco Cavalli – Actes Sud/Classica, un livre de 245 pages
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Photo à la une : Venise en 1650 – Photo : (c) DR