Beethoven à Varsovie

28 août 2012, Varsovie, Salle Lutoslawski : Martha Argerich s’assoit devant un grand Erard de 1849, Frans Brüggen, longue silhouette décharnée mais l’œil aux aguets lance ses musiciens de L’Orchestre du XVIIIe siècle dans ce qui devait constituer une de leurs plus saisissantes expériences Beethoven, un compositeur auquel leur directeur musical consacra ses ultimes forces.

Sauf erreur, c’est la première fois que la Lionne s’essayait à jouer sur un piano historique. Son toucher acéré et fusant tombe droit dans ce clavier léger, son art de colorer se trouve d’emblée en adéquation avec la mécanique de ce grand Erard qui excède les possibilités physiques des pianoforte que connut Beethoven, et se trouve justement en cela en exacte adéquation avec les prospectives sonores que l’écriture des ultimes Sonates avait ouvertes. Mais n’est-ce-pas trop pour le Premier Concerto ? D’autant qu’Argerich fait sonner l’instrument avec un art de timbrer sidérant.

Avec un panache commun, Brüggen et Argerich répondent non et assument : ce n’est plus ce grand concerto déduit de Mozart que tant y entendent, mais bien une partition affirmée dans sa singularité, résolument tournée vers l’avenir. Le mariage des styles entre le chef et la pianiste passe inaperçu, car leur entente obéit à la syntaxe beethovénienne et à rien d’autre. Rien ici n’est cherché, tout est simplement trouvé. L’image ajoute un grain de folie à ce discours solaire qui culmine dans un Finale piaffant, irrésistible. Et qui laisse espérer qu’Argerich poursuive sa fréquentation des claviers historiques.

Beethoven toujours mais sept ans plus tôt. Le 3 septembre 2005, Brüggen remet sur le métier sa symphonie préférée de Beethoven (et probablement sa Symphonie préférée tout court), l’Héroïque dont il avait signé pour Philips une lecture foudroyante.

Le concert varsovien en retrouve les tempos amples mais le discours serré, Brüggen fouettant les deux premiers accords de sa voix. Le secret de ce Beethoven historiquement informé mais pourtant hors du temps : Brüggen n’a pas renoncé aux basses, gigantesques, si sonores que les Berliner Philharmoniker pourraient s’y reconnaître, ni à l’art de tendre les crescendo jusqu’à leur point de rupture comme seul le fit Furtwängler. On aurait tort de croire ici à un atelier, c’est au contraire une tradition revisitée qui brille d’un feu inextinguible. Et la plus belle Héroïque que le XXIe siècle ait produite (à ce jour). L’ajout de l’œuvre de Kurpinski, démarquée de La Victoire de Wellington de Beethoven (que j’eusse préférée) est superfétatoire !

LE DISQUE DU JOUR

cover beethoven erard brüggenLudwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ut majeur, Op. 15

Martha Argerich, pianoforte (Erard)
Orchestre du XVIIIe siècle
Frans Brüggen, direction

Un album DVD du label NIFC DVD004
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cover beethoven eroica brüggen NIFCC
Ludwig van Beethoven
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Eroica »
Karol Kurpinski (1785-1857)
La Bataille de Mojaisk

Orchestre du XVIIIe siècle
Frans Brüggen, direction

Un album du label NIFCCD 039
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Photo à la une : © Herman Sandman