Au sombre

Quelle belle idée : rassembler tous les opus que Martinů a écrits pour l’alto, instrument qu’il affectionnait particulièrement – ses parties d’alto dans ses œuvres d’orchestre comptent parmi les plus inventives du XXe siècle – mais qu’il exposa bien moins en soliste que le violon ou le violoncelle.

Pourtant, il ne lui a réservé que des chefs-d’œuvre, et il lui arrivait souvent de troquer son violon qu’il pratiquait quotidiennement pour l’alto. La preuve avec la sombre Rhapsodie-Concerto de 1952, écrite pour Jascha Veissi qui la créera sous la direction de George Szell à Cleveland en février 1953. Son caractère ambigu – mi rapsodie mi concerto – est affirmée par sa structure bipartite, un moyen pour Martinů de se libérer du schéma concertant classique et de laisser libre court à sa veine lyrique.

Et lyrique, ce vaste chant en deux parties l’est tout entier. Impossible ne pas y entendre comme une vaste déploration où l’écho de la Seconde Guerre mondiale se fait entendre : même le bref épisode dansant du second mouvement est habité par une tension qui lui interdit toute joie. Ce que Maxim Rysanov et Jiří Bělohlávek entendent à la perfection, assourdissant les couleurs, tenant le chant lorsque passe dans celui-ci le souvenir d’un lyrisme très Dvořák. Ce discours intime me semble aller plus loin que le geste un rien ostentatoire qu’y déployait jadis Josef Suk, et rejoint les lectures plus rêvées de Nobuko Imai (avec James de Preist, chez le même éditeur) ou de Tabea Zimmermann (avec James Conlon, Capriccio).

À nouveau à New York en mai 1953 et toujours dans le souvenir que lui avait laissé la création du Concerto pour alto de Bartók en 1950, Martinů revint à l’instrument pour écrire une Sonate tout aussi sombre et également en deux mouvements, strictement contemporaine de son génial Quatrième Concerto pour piano, « Incantation ». Il la composa tout spécialement pour Lillian Fuchs et elle présente de nombreuses similitudes avec la Rhapsodie-Concerto : même couleur nocturne, même écriture lyrique, mais là ou la Rhapsodie cherchait l’apaisement, la Sonate poursuit dans une voix bien plus instable, sa poésie cédant peu à peu devant un agitato inextinguible.

Cette fois, Maxim Rysanov est sans concurrence, et donne à l’œuvre une dimension expressionniste. Quel archet, quelles couleurs ! Et comme le piano orchestre de Katya Apekisheva sait le porter et l’entourer. Un chef-d’œuvre, vraiment.

Les six petites pièces ajoutées entre ces deux partitions les éclairent d’une toute autre lumière : c’est le Martinů solaire qui y fait résonner son néoclassicisme joueur : Rysanov et Alexander Sitkovetsky y rivalisent d’esprit et de virtuosité.

LE DISQUE DU JOUR

cover martinu rysanov bis
Bohuslav Martinů
(1890-1959)
Rhapsodie-Concerto, H. 337
Sonate pour alto et piano,
H. 355

Duos pour violon et alto
No. 1, H. 313 “Trois Madrigaux”
No. 2, H. 331

Maxim Rysanov, alto
Alexander Sitkovetsky, violon
Katya Apekisheva, piano
Gewandhausorchester Leipzig
Jiří Bělohlávek, direction

Un album du label BIS 2030
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Photo à la une : © Pavel Kazhevnikov