Ansermet : les premières années Decca chez Cascavelle

Il y a quarante ans disparaissait un grand musicien du XXe siècle, Ernest Ansermet, fondateur de L’Orchestre de la Suisse Romande, et son directeur musical de 1918 à 1967. Alors que Decca Australie débute la réédition intégrale de son legs officiel (Le retour d’Ansermet sur Qobuz), le label suisse Cascavelle a regroupé sous le titre de « The Early Days » la totalité des volumes de l’ancienne édition Dante/LYS déjà conçue par François Hudry, biographe du chef d’orchestre. Ce coffret nous permet de retrouver Ansermet surtout dans l’immédiat après-guerre, alors que celui-ci débute tout juste sa glorieuse série d’enregistrements pour la maison britannique Decca. Il est alors au sommet de son art.

Son Petrouchka de 1946 – ses premières sessions pour le label – demeure l’une des plus incroyables versions de la discographie, bien supérieure à son remake de 1957, car il ose ici, comme à chaque fois où il se trouve devant un orchestre bien plus aguerri que son cher OSR, des accents d’une liberté incroyable, sans que jamais la souplesse rythmique et l’architecture globale du ballet n’en soient sacrifiées. La flamboyance orchestrale de la version 1911 et la fantaisie du récit y éclatent de mille feux. Epoustouflant, et irrésistible. Le même esprit – incomparable – imprègne les autres Stravinski du coffret, dont une très intériorisée et implacable Symphonie de Psaumes, et notez le notable ralentissement de la Danse Infernale de l’Oiseau de feu entre 1946 et l’intégrale avec le New Philharmonia en 1968.

En réalité, toutes les gravures de cette époque consacrées aux modernes, Ravel, Debussy (sublime Mer), Stravinski, Honegger (ardente Pastorale d’été) montrent une vivacité plus marquée ; la finesse et l’élégance du geste s’y avèrent plus radieuse

En réalité, toutes les gravures de cette époque consacrées aux modernes, Ravel, Debussy (sublime Mer), Stravinski, Honegger (ardente Pastorale d’été) montrent une vivacité plus marquée ; la finesse et l’élégance du geste s’y avèrent plus radieuses. Il y a dans l’Ansermet de cette époque une grâce apollinienne, qui l’affirme comme un musicien incontournable, sinon un technicien absolu de la baguette.

Les Symphonies de Mozart légèrement antérieures (1942) en apportent la preuve. Si les décalages au sein du jeune Orchestre de la Suisse Romande freinent occasionnellement la cursivité des lignes et le dynamisme de la direction, les interprétations du chef conservent en elles la lumière du Sud ainsi qu’un sens étonnant de la couleur tragique, typique du chef en réalité – on le retrouvera également ainsi dans le Concerto pour la main gauche avec Jacqueline Blancard (1953).

La pianiste nous y offre des phrasés d’une rare intensité et souvent une leçon d’harmonie ravélienne, quand l’orchestre, de nouveau en butte à des problèmes de justesse, exploite à merveille la veine grinçante de l’œuvre, et moins que dans le Concerto en sol paradoxalement, une œuvre réputée plus lumineuse. Le tandem Blancard-Ansermet nous donne également en octobre 1942 une vision extraordinaire des Nuits dans les Jardins d’Espagne de Falla, de par sa transparence exceptionnelle et ses climats poétiques. Une grande version à (re)découvrir, comme la première version de Schéhérazade de Ravel (Paris, 1948) avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire et Suzanne Danco – diction irréprochable et donc ineffable poésie du mot, de la narration.

Il faut écouter « L’Horloge » de Haydn, où le chef suisse ose des tempos d’une grande rapidité (Presto du 1er mouvement véritablement preste), ainsi que des couleurs presque automnales dans le second mouvement, où le rythme de balancier est sans doute de ceux qui sonnent le plus « vrai » dans la discographie. Ansermet avait du parler d’horloge avec son ami Ravel…

Ecoutez attentivement les alliages flûtes et bois dans ce même Andante, étonnants de rayonnement. Cet enregistrement de L’Horloge reste pour nous le témoignage le plus attachant d’Ansermet dans Haydn – dans les années soixante, il a enregistré aussi les Symphonies n°22 & 90, et les Symphonies parisiennes qui paraissent moins intensément vécues.

Ce coffret Cascavelle propose d’autres témoignages plus documentaires, tels les Six Concertos grossos de Haendel, gravés en 1929 sous l’impulsion du chef et William Primrose, ou encore le Concerto de Schumann avec Fanny Davies, l’une des dernières élèves de Clara Schumann, qui en 1928 n’avait sans doute plus tout à fait les doigts de sa jeunesse.

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