Faire face aux chefs-d’œuvre

Maria Perrotta caresse le motif vacillant de la Sonate Op. 109 dans une douceur de son qui n’est que recueillement, et les accords du portique qui suivent sont de la même eau : non pas un appel comme jadis les faisait résonner Rudolf Serkin, mais un élargissement intégré dans une ligne qui cherche l’horizon. Tout au long du concert ce sera cela : un seul geste, sans aspérité, cherchant l’unité du propos.

Car oui, la pianiste italienne récuse l’image classique d’un Beethoven héroïque qui dans ce triptyque résumerait sa pensée. Elle l’envisage plutôt comme une seule œuvre en neuf regards, en fait une suite de variations sur une série de motifs interrogatifs. L’attention portée aux ponctuations, la variété dans le jeu des trilles, une recherche des sonorités à l’estompe, tout cela tourne en fait le dos au piano moderne, et veut nous conduire vers l’émotion. Sommet du concert le thème murmuré de l’Adagio de l’Op. 110, remarquable par sa capacité à abolir le temps.

J’en vois déjà tournant les talons devant tant d’introspection, de sérénité, râlant que tout de même Beethoven c’est autre chose, mais une fois admis qu’au concert Maria Perrotta est à son piano comme dans son atelier, et qu’en fait elle joue Beethoven d’abord en quelque sorte en elle, l’intimité du discours, l’absence d’ostentation, et un certain onirisme de la sonorité m’emportent. Bis étrange : une lecture très polyphonique de l’Étude Op. 8 No. 2 de Scriabine où le piano soudain prend une ampleur de son qui révèlent toute la variété des couleurs et la profondeur de très beau Steinway prêté par .

Voilà que piqué dans ma curiosité, j’ouvre enfin l’autre CD édité par Decca Italie : après les trois dernières Sonates de Beethoven, les Variations Goldberg. Maria Perrotta ne s’approche décidément que des chefs-d’œuvre. Et encore une fois en concert le 12 janvier à Rome. Pour l’anecdote, la pianiste était au neuvième mois de la grossesse de sa fille et par prudence une ambulance stationnait devant le Théâtre Rossini, au cas où.

Et là, décidément plus moyen d’émettre la moindre réserve. Ce piano agile, d’une clarté absolue, où tout chante, où les lumières sont si douces et le discours si fluide mais plein de caractère, nous rembourse de toutes ces versions rhétoriques et démonstratives qui finissent par faire des Variations Goldberg non plus un voyage plein de surprises mais une partition desséchée.

Je suis surpris à demi : en fait, Maria Perrotta avait déjà publié une version des Goldberg, l’année précédente et également en concert à Rome, cette fois au Teatro Valle Occupato, concert où la magie opérait tout autant, même si le Yamaha qu’elle jouait ce 17 octobre 2011 n’avait pas un clavier aussi ductile que le somptueux Steinway du concert du Teatro Rossini. Mais si vous êtes séduit par l’album Decca, je vous engage à tenter aussi cette première captation.

LE DISQUE DU JOUR

cover beethoven sonates perrottaLudwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate No. 30 en mi majeur, Op. 109
Sonate No. 31 en la bémol majeur, Op. 110
Sonate No. 32 en ut mineur, Op. 111

Maria Perrotta, piano

Un album du label Decca 4810575
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cover bach perrotta goldberg deccaJohann Sebastian Bach (1685-1750)
Variations Goldberg, BWV 988

Maria Perrotta, piano

Un album du label Decca 4811194
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cover bach perrotta goldberg cnkJohann Sebastian Bach (1685-1750)
Variations Goldberg, BWV 988

Maria Perrotta, piano

Un album du label CNK Records 028
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Photo à la une : (c) DR