Né pour Schubert

Un premier album de Shai Wosner confrontait logiquement Schönberg et Brahms, sans parti pris intellectuel, mais avec un vrai talent de conteur, et une sonorité profonde et lumineuse jusque dans le plus obscur du clavier qui décidément arrêtaient l’attention.

Second album dédié à Schubert, paru en 2011, et dès l’énoncé hésitant de la Sonate « Reliquie », ce ton unique, cette attention aux phrases jusque dans leurs césures, cette succession de plans sonores différents, ce piano plein qui pourtant n’assomme pas. Un schubertien était né. Et il faut bien avouer qu’ils ne sont pas légion dans cette génération, en fait trois dans l’absolu, Wosner, son cadet de trois ans Inon Barnatan et Benjamin Hochman, sur lesquels je reviendrai plus tard.

Après la Reliquie, laissée dans l’état où Schubert l’a voulue malgré lui – Wosner joue les deux mouvements achevés, sans aller au-delà – les Six danses allemandes D. 820 et la Mélodie hongroise, celle-ci jouée comme une arabesque obstinée, privilégiant le paysage plutôt que la citation folklorique, préludent à une extraordinaire lecture de la grande Sonate en ré majeur (« Gastein »), une des partitions pianistiques les plus complexes, les moins offertes surtout, du piano de Schubert.

Jadis Vladimir Ashkenazy y excellait, l’emportant avec une rage toute beethovénienne. Wosner l’équilibre entre orchestre et mélodie, en dévoile la structure symphonique mais en modelant son clavier. Ce qui m’étonne toujours dans le piano de Shai Wosner est sa maîtrise de la dynamique, et partant, du temps en musique. Il sait comment construire un crescendo, dans la tension harmonique et non pas par la poigne pianistique. Pas étonnant que ces timbres soient ceux d’un orchestre. Et il sera passionnant de confronter sa version avec celle de Benjamin Hochman.

Le tout dernier opus de Wosner qui reste fidèle son éditeur, Onyx, revient à Schubert et entre cette fois dans le triptyque des ultimes sonates avec la D. 959. Un test : quel tempo pour l’Andantino ? Wosner le prend aussi rapidement qu’Andor Foldès, mais pour l’épisode fantastique, il creuse l’espace et semble ouvrir le clavier au-delà de ses possibilités physiques.

Écoutez comme il lance la tempête centrale. Saisissant … j’essaye en vain de décrypter l’effet technique auquel il recourt. Et les dialogues entre les suppliques et les volées d’accords arpégés sont incroyables de sens dramatique. Les Moments musicaux réservent autant de surprises, relus, compris, dans une sonorité magique et pourtant jamais ostentatoire, et la ponctuation de l’œuvre de Mazzoli est singulièrement accordé au propos de l’album.

Bonus d’importance : Wosner écrit les textes de ses disques, ils en disent long sur sa sensibilité et sa culture.

LE DISQUE DU JOUR

cover schubert 850 wosner onyx
Franz Schubert (1)
(1797-1828)
Sonate pour piano No. 15 en
ut majeur, D. 840 « Reliquie »

Sonate pour piano No. 17 en
ré majeur, D. 850 « Gastein » (Op. 53)

Six Danses allemandes, D. 820
Mélodie hongroise, D. 817

cover schubert 959 wosner onyx
Franz Schubert (2)
(1797-1828)
Sonate pour piano No. 20 en
la majeur, D. 959 (Op. posth.)

Six Moments musicaux,
D. 780 (Op. 94)

Missy Mazzoli (née en 1980)
Isabelle Eberhardt Dreams of Pianos

Shai Wosner, piano

(1) Un album du label Onyx 4073
(2) Un album du label Onyx 4136

Photo à la une : (c) Marco Borggreve