La nuit chante

Le 21 janvier dernier (2015), Waldemar Kmentt s’éteignait dans sa quatre-vingt-troisième année. Un Mozartien dans sa jeunesse, ses Belmonte, Tamino, Don Ottavio, Ferrando, Idamante et Idoménée en allemand ou en italien selon les usages de l’époque, sont restés célèbres.

Puis la voix prenant du corps, L’empereur de la Frau, Bacchus s’ajoutèrent, mais il aura surtout marqué le Walther des Meistersinger à jamais. En novembre 2005, il campait encore à l’Opéra de Vienne dans Ariadne auf Naxos un Haushofmeister ironique à souhait.

Pur hasard du calendrier des publications discographiques, le voici dans un de ses emplois de concert favori, celui du ténor de Das Lied von der Erde. Évidemment, cette édition parue en 2014 n’entendait pas lui rendre hommage : l’affiche prestigieuse de ce concert donné le 7 juin 1967 au Konzerthaus de Vienne se vendait alors sur le nom de Christa Ludwig, ses éditions CD pirates successives sur celui de Carlos Kleiber, dont c’est le seul témoignage mahlérien.

Le document est évidemment précieux à plus d’un titre, même pour Kmentt, plus fou encore dans les deux lied d’ivresse que lors de sa gravure en concert avec Kubelik et le Wiener Philharmoniker, soirée mémorable où Hilde Rössel-Majdan se mesurait à une œuvre qu’elle voulut toujours conquérir malgré la nature de sa voix.

Et Christa Ludwig ? Au sommet de sa voix, avec déjà ces aigus dorés qui l’attirent vers une autre tessiture qu’elle ne voudra jamais admettre comme sa vraie nature vocale, elle tourne le dos au contralto assombri, pour ne pas écrire alourdi, qu’elle avait accordé à la direction hiératique d’Otto Klemperer en juillet de l’année précédente.

Rayonnante même dans le renoncement, elle se fond dans le geste fluide de Carlos Kleiber qui allège tout, dirige les ponctuations et les phrases alla breve, fait éclater la poésie d’une façon presque naturaliste – écoutez comment jailli le concert d’oiseaux de la petite harmonie à la fin de la première partie de l’Abschied !

Sans pathos, dans une lumière mozartienne, Carlos Kleiber nous fait pleurer tout ces Mahler qu’il nous a refusés. En effleurant l’un de ses derniers chefs-d’œuvre, comment ne s’est-il pas aperçu des affinités électives qui le reliaient à cette musique ? Mystère que cette gravure volée au concert et enfin rendue dans les splendeurs de la bande originale, ne résout en rien, et qui vous questionnera !

LE DISQUE DU JOUR

cover mahler lied kleiber wiener
Gustav Mahler (1860-1911)
Das Lied von der Erde
(Le Chant de la Terre)

Waldemar Kmentt, ténor
Christa Ludwig, mezzo-soprano
Wiener Symphoniker
Carlos Kleiber, direction

Un album du label Wiener Symphoniker WS 007

Photo à la une : (c) DR