D’un Schumann l’autre

Eugen Indjic n’encombre pas les bacs des disquaires : un poétique album Debussy pour Calliope, pour Claves quelque disques Chopin, et depuis rien. C’est, pour ce 4e Prix du Concours Chopin 1970, pousser la discrétion un peu loin.

Né à Belgrade en 1947 mais tôt installé aux États-Unis, élève à Boston d’Alexandre Borovsky, un spécialiste de Bach qui lui léguera sa faculté de dégager les structures musicales comme un sculpteur voit son œuvre dans un bloc de marbre, Indjic possède avant tout une sonorité d’une beauté naturelle clouante. Avec cela un jeu polyphonique ductile, une absence d’ostentation, un geste musical évident.

Album Schumann, enfin, et avec deux cycles majeurs. Ses Davidsbündlertänze montrent l’artiste : cantabile aussi magique que discret, rubato impalpable mais diseur, phrasés longs qui rendent bien compte des pages réflexives avec cette couleur nacrée spécifique présente dès l’Innig. Mais les carrures dansées des Davidsbündler sont bien là, marquées du talon, alertes.

Sonorité admirable, qui chante dans le timbre, main gauche éloquente, le tout sur un très beau Steinway – le médium est caressant à souhait, le clavier assez léger – qualités qui offrent au deuxième cycle du disque des paysages choisis. Les Kreisleriana selon Indjic ne sont pas ces voyages vers le fantastique hofmannien auxquels nous ont habitué Sofronitsky, Argerich ou Horowitz, mais une grande arche, emplie de sons, sculptée, d’une intensité d’abord pianistique.

Peu d’effet, du chant à foison, Indjic est un lyrique, il déteste paraître, il préfère vous emmener. Pas si loin que cela, pour la poésie, l’imagination sonore, de ce qu’y faisait Kempff, voilà qui aidera à vous situer. Personnellement j’adore, jusque lorsque le pianiste chante avec son clavier, oubliant les micros. Un artiste dont on aimerait retrouver au CD le debut recording : les Variations Diabelli de Beethoven captées par RCA sur le piano de Rachmaninov : Indjic avait douze ans !

Artiste, Boris Giltburg ne l’est pas moins qui inaugure son nouveau contrat chez Naxos avec un album Schumann tout aussi ambitieux : lui aussi choisit les Davidsbündlertänze, les jouant sur la réserve, soignant son legato, faisant entendre combien il sait dominer son sujet.

On y perd la liberté inventive d’Indjic, mais impossible de ne pas admirer une telle maîtrise, un tel sens des rapports harmoniques, une conception si pensée. Papillons, placé dans le disque comme une respiration, pourrait être plus magique de sonorité, plus inventif, mais le Carnaval, pourtant commencé un rien factuel, en sonorités mesurés, déploie progressivement une galerie de portraits savamment composée.

Le jeu est plein, mais jamais frappé, les timbres se répondent, la main gauche impérieuse est vraiment d’un virtuose, pourtant il manque ici, dans le cycle le plus tourbillonnant de Schumann, cette vertu première : l’exaltation. Peu importe, je surveillerai toujours les disques de Boris Giltburg avec gourmandise.

LE DISQUE DU JOUR

cover schumann indjic
Robert Schumann
(1810-1856)
Davidsbündlertänze, Op. 6
Kreisleriana, Op. 16

Eugen Indjic, piano

Un album du label Dux 1187 ou Andante spianato

schumann giltburg naxos cover
Robert Schumann
(1810-1856)
Davidsbündlertänze, Op. 6
Papillons, Op. 2
Carnaval, Op. 9

Boris Giltburg, piano

Un album du label Naxos 8573399

Photo à la une : (c) DR