Faire concerto

La phrase se déroule comme un ruban, la main gauche murmure, le chant, mesuré et plein, se galbe à la main droite. Une pointe de pédale et le clavier s’ouvre dans le medium, ou comment la nuance piano si délicate de l’Impromptu No. 3 peut rayonner : c’est Nelson Freire qui délivre la leçon en ouvrant son nouvel album Chopin.

Héros du disque, le Deuxième Concerto que le pianiste brésilien et Lionel Bringuier avaient revisité à Londres lors d’un concert déjà historique heureusement immortalisé (1).

La diction impérieuse dont le jeune chef français pare l’introduction Maestoso démontre que Chopin orchestrait parfaitement contrairement à la légende, faisant parler la formation symphonique, où l’ombre de Beethoven passe. Il suffisait de suivre scrupuleusement la partition pour que tout cela sonne. Mais voici que Nelson Freire entre en deux accords à peine arpégés, geste vif qui lance le discours. Tempo tenu, mais dans le tempo les espaces expressifs ne s’absentent jamais. Cela chante et brille, d’un clavier profond, au medium intense. Dieux, que ce piano est beau, jamais ostentatoire !

Lionel Bringuier ombre les questions et réponses des cordes et de la petite harmonie qui ouvrent le Larghetto, comme si le souvenir du 4e de Beethoven paraissait. Nelson Freire chante à pleine voix, élégant et profond, timbrant le contrechant de la main gauche, déroulant les arabesques de la main droite. Pur bel canto, mais avec derrière la nostalgie, une urgence qui fait rugir le clavier.

Finale cambré, impeccable, qui oublie le giocoso extérieur que trop de pianistes lui imposent : encore une fois Nelson Freire refuse d’alléger son clavier, il lui laisse toutes ses dimensions, portés par l’orchestre que Lionel Bringuier lui dessine. Écoutez la discrétion des pizzicatos dans le thème à la mazur !

Le reste du disque compose un récital Chopin admirable d’intensité, de pudeur, d’élégance, faisant la part belle aux tonalités altérées (sol bémol majeur, ré bémol majeur, la bémol majeur, do dièse mineur). Le grand récit de la Ballade en fa mineur, les sonorités magiques de la Berceuse, les esquisses des Mazurkas Op. 50, l’ardeur sans frein de la Polonaise héroïque nous rappellent que chaque note de Chopin respire naturellement dans le clavier-poète de ce pianiste-magicien.

(1) Œuvres de Chopin, Roussel, Ravel, Berlioz – Nelson Freire, Orchestre Symphonique de la BBC, Lionel Bringuier – Enregistré au Royal Albert Hall, en août 2010 – Un DVD du label Bel-Air Productions

LE DISQUE DU JOUR

cover chopin bringuier deccaFrédéric Chopin (1810-1849)
Impromptu No. 3 en sol bémol majeur, Op. 51 ; Ballade No. 4 en fa mineur, Op. 52 ; Berceuse en ré b majeur, Op. 57 ;  3 Mazurkas, Op. 50 ; Polonaise No. 6 en la b majeur, Op. 53 « Héroïque » ;
Concerto pour piano No. 2 en fa mineur, Op. 21;

Nelson Freire, piano
Gürzenich-Orchester Köln
Lionel Bringuier, direction

Un album du label Decca 4785332

Photo à la une : (c) DR