Doublé Chopin

Johannes Moser, trente-six ans, est l’un des plus discrets violoncellistes de sa génération, mais disque après disque, sa sonorité tendre, son archet décidément très poétique, sa manière avant tout lyrique le singularisent à l’heure des virtuoses à tout crin.

Je me doutais bien que la Sonate de Chopin lui irait comme un gant. Il y ose un jeu murmuré, subtil, qui confère un ton presque schumannien au sinueux Allegro moderato, l’un des mouvements les plus développés de toute l’œuvre du compositeur des Polonaises. Eva Kupiec lui donne tout le temps nécessaire à cette introspection qui nous emmène loin dans la nostalgie : accompagnement impeccable, sens des atmosphères, une leçon.

Faut-il rappeler que l’œuvre est une des partitions majeures de la maturité de l’auteur – elle fut achevé en 1846, Chopin s’éteindra en 1849 – et qu’elle fut écrite pour l’archet d’Auguste-Joseph Franchomme, virtuose parisien devenu son ami.

La maîtrise de la grande forme s’y allie avec un discours pathétique que Moser ne veut pas solliciter, il préfère chanter sotto voce, et nous émeut à coup sûr. En contraste avec cette partition crépusculaire, le fougueux Trio Op. 8, écrit par un jeune homme de dix-huit ans encore élève au Conservatoire de Varsovie, montre déjà une invention mélodique inspirée, qui enlève alertement les canons de l’écriture classique. Kolja Blacher rejoint le duo, ajoutant l’imagination de ses phrasés, mais Chopin faisait déjà du violoncelle le héros de sa musique de chambre.

C’est sinon à la chambre, en tous cas au salon que Daniil Trifonov et l’Orchestre de Chambre Polonais de Sopot reconduisent le Concerto en mi mineur, dans un arrangement dirigé par son auteur Wojciech Rajski.

J’enrage devant cet orchestre à cordes sans relief d’autant plus que j’ai toujours aimé l’orchestration un rien frustre mais très élancée dont Chopin a revêtu ses concertos et qui ne demande qu’à sonner dès qu’un interprète de la trempe de Krystian Zimerman la dirige.

Mais voyons le verre à moitié plein : Daniil Trifonov, dont les Chopin digitaux ne m’avaient jamais complètement convaincu, se trouve si seul ici qu’il doit chanter. Et il chante, avec une tendresse, une mélancolie, et parfois même une profondeur de son qui en étonnera certains.

Mais les rythmes du Finale sont trop légers, et le discours absolument joli réduit le feu d’artifice à une chorégraphie pastelle. Le même ton de confidence un peu pâle parcourt la sombre Barcarolle, les deux premiers Impromptus, l’artiste se montrant enfin derrière le pianiste pour une Tarentelle subtilement composée. Mais enfin, je l’eus aimée plus fusante !

LE DISQUE DU JOUR

cover chopin moser haensslerFrédéric Chopin (1810-1849)
Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur, Op. 65
Trio pour violon, violoncelle et piano en sol mineur, Op. 8
Kolija Blacher, violon
Johannes Moser, violoncelle
Ewa Kupiec, piano

Un album du label Haenssler Classics 93.322

cover chopin trifonov duxFrédéric Chopin (1810-1849)
Concerto pour piano et orchestre en mi mineur, Op. 21 (arr. Rajski)
Barcarolle en fa # maj, Op. 60
Impromptu No. 1 en la b maj, Op. 29; Impromptu No. 2 en fa dièse majeur, Op. 36
Tarentelle en la bémol majeur, Op. 43

Daniil Trifonov, piano
Orchestre de Chambre Polonais de Sopot
Wojciech Rajski, direction

Un album du label Dux 0832

Photo à la une : (c) Uwe Arens