Schubert au miroir de deux claviers

En 1991, Alexei Lubimov enregistrait pour Erato, sur un pianoforte Christopher Clarke d’après Fritz un peu mat, les deux cahiers d’Impromptus de Schubert, disque qui m’a accompagné longtemps sans me convaincre d’abandonner Edwin Fischer.

Dix-huit ans plus tard, le pianiste russe remettait les deux Opus sur le métier pour les micros de Zig-Zag Territoires, cette fois en leur attribuant à chacun un instrument différent.

Pour les quatre Impromptus D. 899, un Matthias Müller de 1810 ample et chantant, à la una corda magique qui provoque un estompe général du clavier (début de l’Impromptu en sol bémol majeur), et un registre élevé aux couleurs de harpe éolienne. Dans ce clavier venu d’un autre âge, les épisodes lyriques se déploient tel des contes sonores, permettent à Lubimov de révéler un imaginaire mêlant narrations et paysages. A vrai dire, j’aime tellement ce pianoforte que j’aurais voulu entendre l’autre cahier murmuré sur son clavier, surtout le grand Impromptu en fa mineur.

Mais non, pour les quatre Impromtus D. 935, Lubimov a choisi un Joseph Schantz aux résonances plus individualisées, au clavier plus profond, aux registres mieux définis, datant de l’année même de la mort de Schubert. Le piano moderne n’est pas si loin que cela en terme de projection sinon en terme d’équilibre harmonique, mais Lubimov le traite d’autant plus volontiers en pianiste, exigeant plus de puissance, plus de présence.

Ce ne sont plus des paysages, une pleine lune pâle ou l’entrée sombre d’une forêt, mais un discours, tenu par un Leiermann différent pour chaque impromptu. Le cahier prend la forme d’une sonate, s’architecture, comme d’ailleurs le concevait Edwin Fischer, avec pour l’Allegro scherzando final une alacrité rythmique qui l’apparente quasiment à un furiant dont les fusées dans l’aigu sonnent comme des sifflements de balles. Fabuleuse recréation sonore qui se pare dans l’épisode central d’un mystère inquiet. Ne serait-ce pas la Lorelei ?

Vous l’aurez compris, ce Schubert revisité, hanté, est l’un des plus romantiques qui soient, et les instruments ne sont pas pour peu dans ce voyage vers le passé. Mais je n’en ai pas fini avec le Schubert d’Alexei Lubimov

LE DISQUE DU JOUR

cover schubert lubimov zig zagFranz Schubert (1797-1828)
Impromptus, Op. 90 D. 899 (1er cahier)
Impromptus, Op. 142 D. 935 (2ème cahier)

Alexei Lubimov, piano

Un album du label Zig-Zag Territoires ZZT100102

Photo à la une : (c) DR