1963

Herbert von Karajan voulut d’emblée soustraire « son » Beethoven à la tradition germanique. L’anti Furtwängler on s’en doute, et même au point de s’approcher au plus près de son antithèse : seul modèle avoué, Arturo Toscanini.

Pour Walter Legge, une première intégrale avec le Philharmonia osait beaucoup, même face à Klemperer qui déjà y instillait poco a poco son monument, la monophonie rapprochant en quelque sorte plus encore le geste svelte du jeune homme de celui autrement drastique de l’Italien.

En 1957, le Rubicon était franchi, l’étiquette jaune succéda à Nipper, et Karajan avait enfin les Berliner (tout en regrettant secrètement de ne pas avoir les Wiener !). Il fallait désapprendre les Berlinois de leur Beethoven, qui depuis Nikisch était tout foucades et humeurs ; même Furtwängler avait du y glisser ses lumières, trouvant d’ailleurs plutôt son Beethoven avec les Viennois.

La stéréophonie arrangea les choses, faisant entendre toute la complexité du travail de Karajan, qui usait d’un nombre infini de variations dans les accents, les polyphonies, et d’un usage subtil du legato qui allait jusqu’au renoncement à celui-ci, manière d’inviter le souvenir de Toscanini.

En 1960, Deutsche Grammophon céda à l’insistance d’Elsa Schiller qui savait le cycle prêt. Les premières sessions se tinrent l’année suivante. Budget colossal qui occasionna quelques sueurs froides chez les édiles du label allemand, et sera remboursé au centuple.

Un allié de poids : l’acoustique si lumineuse de la Jesus-Christus-Kirche que les micros d’Otto Gerdes magnifièrent. L’orchestre volatile de Karajan s’y glissa avec une voluptueuse aisance qui culminera dans une Septième aux sonorités irréelles, soulignant déjà le péché mignon du poli esthétique, la fascination de Karajan pour le beau son.

Elsa Schiller veillait au grain, consciente qu’il fallait à Deutsche Grammophon l’intégrale des Symphonies de Beethoven que Ferenc Fricsay n’avait pu lui offrir : le chef hongrois s’éteindrait à Bâle quatre mois après les dernières sessions de l’intégrale de Karajan.

La somme fit date, le coffret sacrant la première acmé de l’art du chef autrichien, personne n’a remis en cause sa stature historique, mais le nouveau remastering de l’Emil Berliner Studio éclaire encore la singularité d’une vision où pêche seulement une Pastorale dont Herbert von Karajan n’assume pas l’humour, n’entend pas les échappées poétiques, alors que dans la Neuvième reparaît la folle effervescence qui jaillissait des premiers 78 tours viennois.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les Symphonies (Intégrale)

No. 1 en ut majeur, Op. 21
No. 2 en ré majeur, Op. 36
No. 3 en mi bémol majeur,
Op. 55 « Eroica »

No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
No. 5 en ut mineur, Op. 67
No. 6 en fa majeur,
Op. 68 « Pastorale »

No. 7 en la majeur, Op. 92
No. 8 en fa majeur, Op. 93
No. 9 en ré mineur, Op. 125 « Chorale »

Berliner Philharmoniker
Herbert von Karajan, direction
(Première intégrale publiée chez Deutsche Grammophon en 1963 – Remasterings 2025)

Un coffret de 5 CD et 1 Pure Audio Blu-Ray du label Deutsche Grammophon 486 2800
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Photo à la une : le chef d’orchestre Herbert von Karajan – Photo : © DR