Le temps se suspend, Maureen Forrester entonne son « O Mensch » comme venu d’un autre monde, moment magique qu’Eduard van Beinum lui entoure d’une nuit profonde. Les concepteurs du nouveau coffret Mahler selon le Concertgebouw n’ont pas craint de remonter le temps des archives : l’impeccable Quatrième de Willem Mengelberg, qui semble conserver encore en 1939 le souvenir de Mahler dirigeant sa pastorale, est le miracle qu’on sait, bien connu, magnifiquement reproduit ici. La fabuleuse (au sens premier de fabuleux, un immense conte) Troisième donnée en juin 1957 par Beinum l’est beaucoup moins, quasi oubliée dans l’un des volumes de l’édition RCO Live d’il y a quelques temps : la redécouvrir souligne à quel degré d’inspiration sera parvenu le prédécesseur de Bernard Haitink, acteur majeur et trop oublié du « Mahler revival » en Europe dans les années 1950.
L’apport de cette belle boîte est aussi essentiel par les quelques nouveautés qu’elle propose. Riccardo Chailly se taille la part du lion, fabuleuse Première emplie de Naturlaut, Cinquième dans le feu du concert captée le soir des dernières sessions pour le disque Decca – les comparer s’avère riche d’enseignements – et surtout une transcendante lecture de la Dixième dans la proposition de Deryck Cooke, où le chef italien ouvre la porte vers d’autres mondes dans les beautés d’un orchestre qui se transcende. Historique simplement et captée lors d’un de leurs concerts majeurs de la première année du nouveau siècle.
Et Bernard Haitink ? Une Neuvième philosophique, déjà connue par l’image, fascine par cette fusion naturelle qui élève le discours, l’épure, mais courrez d’abord à la Sixième, inédite, captée la même année que le concert avec le National publié par naïve.
On se doute que le Concertgebouw supplante les Français, emportant Haitink dans un brasier qui dévore sa direction, fabuleuse illustration du retour qu’il opérait alors vers cette partition qui lui résista longtemps, apport décisif à sa discographie comme à celle de l’œuvre, plus qu’un Lied von der Erde un peu sage, aussi pour les chanteurs, loin d’égaler le souvenir de son enregistrement de studio magnifié par la présence de James King et de Dame Janet Baker, autre époque.
Sinon ce Lied von der Erde, aucune captation ne déçoit, la Résurrection de Daniele Gatti, cursive, flamboyante, rappelle qu’il est toujours chez lui ici, les Septième et Huitième selon Mariss Jansons, échos sonores des captations vidéos déjà publiées en DVD, sont des modèles d’intégrité et d’inspiration, achevant de faire de cette belle boîte un indispensable qui laisse espérer pour demain la réédition d’un incunable : le coffret de seize CDs reprenant les enregistrements du Mahler Festival 1995.
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler (1860-1911)
Complete Symphonies
The Chief Conductors Edition & Concertgebouw Orchestra
Symphonie No. 1, « Titan »
Riccardo Chailly, direction
(29 avril 1999)
Symphonie No. 2, « Résurrection »
Chen Reiss, soprano – Karen Cargill, mezzo-soprano – Netherlands Radio Choir – Daniele Gatti, direction (18 septembre 2016)
Symphonie No. 3
Maureen Forrester, contralto – Toonkunstkoor Amsterdam – Eduard van Beinum, direction (14 juillet 1957)
Symphonie No. 4
Jo Vincent, soprano – Willem Mengelberg, direction (9 novembre 1939)
Symphonie No. 5
Riccardo Chailly, direction (10 octobre 1997)
Symphonie No. 6
Bernard Haitink, direction (7 décembre 2001)
Symphonie No. 7
Mariss Jansons, direction (30 septembre 2016)
Symphonie No. 8
Christine Brewer, soprano – Camilla Nylund, soprano – María Espada, soprano – Stephanie Blythe, mezzo-soprano – Mihoko Fujimura, mezzo-soprano – Robert Dean Smith, ténor – Tommi Hakala, baryton – Štefan Kocán, basse – Netherlands Radio Choir– State Choir LATVIJA – Mariss Jansons, direction (6 mars 2011)
Das Lied von der Erde
Anna Larsson, mezzo-soprano – Robert Dean Smith, ténor – Bernard Haitink, direction (7 novembre 2006)
Symphonie No. 9
Bernard Haitink, direction (15 mai 2011)
Symphonie No. 10
Riccardo Chailly, direction (18 juin 2000)
Un coffret de 10 CD du label RCO Live 25003
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Photo à la une : le chef d’orchestre Riccardo Chailly, à la tête du Concertgebouw, en 1988 – Photo : © Frans Schellekens