Lubimov – Vol. 1

Alexei Lubimov est un sujet en soi. Né en 1944, élève de Neuhaus comme Gilels et Richter, concertiste fêté et encore étudiant au Conservatoire de Moscou, versé dans la défense de la musique contemporaine alors que le régime soviétique la condamnait, il aura passé toute sa vie de jeune homme dans une dissidence aussi tapageuse qu’unique alors en URSS.

Feux d’artifice : cette brasse coulée des arpèges au centre de la pièce, aquatique, tenait du miracle sonore

Personnage étrange – physiquement, par ses tenus, par ses attitudes, intellectuellement, par son goût des compositeurs, des peintres et des auteurs rares – absolument à part dans son temps, il effraya tellement les nervis communistes que ceux-ci lui interdirent de sortir du pays, jusque dans les années quatre-vingt.

Oui, mais malgré cette mise sous le boisseau, les Crommelynck me ramenaient de leurs voyages à Moscou quelques disques. Je me souviens que mon obsession du moment était les enregistrements Melodiya de Maria Grinberg, de Vladimir Sofronitsky, d’Anatoly Vedernikov et d’Alexei Lubimov.

Miracle, un jour, Patrick et Taeko me glissèrent à l’apéritif d’un des innombrables dîners chez eux rue de Gergovie, un double-album microsillon avec l’intégrale des Préludes de Debussy par … Lubimov !

Je me souviens encore d’avoir mis au moins une bonne trentaine de fois derechef Feux d’artifice sur la platine. Cette brasse coulée des arpèges au centre de la pièce, aquatique, tenait du miracle sonore. Je n’avais jamais entendu depuis Gieseking un pianiste qui osait à ce point s’immerger avec une telle sensualité dans les harmonies érotiques du compositeur.

Enregistrement 1971, piano moderne, très belle prise de son d’Alexander Schtilman – les studios de Melodiya étaient toujours ouvert pour Lubimov – et, en complément, une Isle Joyeuse lancée comme par personne.

Ces interprétations radicales, flamboyantes (La puerta del vino !), sont restées au cœur de ma discothèque debussyste, et voila que Melodiya les réédite avec trois pièces inédites (D’un cahier d’esquisses, Hommage à Haydn, et la Berceuse héroïque) alors que paraît justement le nouvel enregistrement que Lubimov vient de consacrer à ces deux mêmes Livres chez ECM.

Le temps s’est étiré, la sensualité n’a rien cédé, et une nouvelle fois Lubimov m’embarque chez Debussy mieux que tous les pianistes français n’ont su le faire ces dernières années. Un geste plus abstrait donne même une dimension supplémentaire au Deuxième Livre, hors du temps, fascinant jeu d’ombres et de lumières. Et les compléments sont irrésistibles : Prélude à l’après-midi d’un faune et les 3 Nocturnes à deux pianos, Lubimov jouant un Steinway, Alexei Zuev un Bechstein, alliage savoureux de couleurs et de matières différentes. Il vous faut les deux versions !

Quant à Lubimov, j’y reviendrais rapidement…

LE DISQUE DU JOUR

cover debussy lubimov melodiya
Claude Debussy
(1862-1918)
Préludes, Livres I & II
L’Isle Joyeuse
D’un cahier d’esquisses
Hommage à Haydn
Berceuse héroïque

Alexei Lubimov, piano
Un double-album du label Melodiya MELCD1002002

cover debussy lubimov ecm
Claude Debussy
(1862-1918)
Préludes, Livres I & II
Prélude à l’après midi d’un faune
Nocturnes : Nuages, Fêtes, Sirènes

Alexei Lubimov, piano
Un double-album du label ECM 4764735

Photo à la une : (c) Peter Laenger