Le jeune homme et le violon

Pour quelles raisons le Concerto de Beethoven est-il devenu ces dernières années un enjeu pour l’interprétation historiquement informée ? Patricia Kopatchinskaja avait osé le sortir de la tradition à grands coups d’archet, secondé par Philippe Herreweghe et son Orchestre des Champs-Elysées, nous étions en 2009, Naive tirait le premier. David Grimal puis Liza Ferschtam l’ont suivie sans que je sois jamais convaincu, non du bien fondé de la démarche, mais de sa réalisation. Derrière tant de phrasés nouveaux, malgré un jeu sans vibrato et des couleurs surprenantes, je remettais illico Oistrakh et Cluytens dans la platine et souriais.

Le nouveau venu change enfin la donne. Lorenzo Gatto, second Prix Reine Elisabeth en 2009 (et Prix du Public, qui à Bruxelles ne se trompe jamais), vingt huit ans le 2 décembre dernier, n’a pas abandonné son violon moderne – un Vuillaume dont le volume et les couleurs vont comme un gant aux grandes lignes mélodiques que Beethoven destine à son soliste – mais il a entendu les leçons de l’interprétation historiquement informée.

Sans pourtant que son jeu soit en rien artificiel, sa lecture recherchée. Il met ici un naturel, une élégance, une fluidité et joue en fait l’œuvre en classique bien plus qu’en romantique : Mozart n’est pas loin, et de fait Beethoven dans son discours ample prolonge en quelque sorte son geste. Merveille qu’anime un orchestre plein de caractère qui éclate dans l’Ouverture des Créatures de Prométhée et se fait paysage pour le Concerto ou les Romances. Benjamin Levy dirige preste, et son svelte Orchestre de chambre Pelléas sait ce que le dernier style classique veut dire, au point qu’on aimerait bien les voir se frotter aux ultimes symphonies de Haydn.

Et à peine l’audition du Beethoven finie, je retournais aux deux premiers disques de Lorenzo Gatto : un récital de début avec la Troisième Sonate d’Enesco très libre, aux phrasés intenses, la rare Sonate de Vassilije Mokranjac et les Cinq Madrigaux de Martinů.

Gatto souffrirait-il d’un tropisme Martinů ? On lui doit en tous cas une version d’un lyrisme désarmant du grand Deuxième Concerto écrit par le compositeur tchèque au cœur de la Seconde Guerre mondiale, œuvre souvent sombre, dont Walter Weller étendait encore les ombres. Quitte à découvrir un des grands archets de la jeune génération, il vous faut les trois albums, qui dessinent un portrait complet de l’artiste.

LE DISQUE DU JOUR

cover gatto beethoven zztLudwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour violon, Op. 61
Romance pour violon No. 1, Op. 40
Romance pour violon No. 2, Op. 50
Les Créatures de Prométhée, musique de ballet, Op.43 – Ouverture

Lorenzo Gatto, violon
Orchestre de chambre Pelléas
Benjamin Lévy, direction
Un album du label Zig Zag Territoires ZZT354

cover martinu gatto fuga libera
Bohuslav Martinů
(1890-1959)
Concerto pour violon et orchestre No. 2 en sol mineur, H. 293
Symphonie pour orchestre
No. 1, H. 289


Lorenzo Gatto
, violon
Orchestre National de Belgique
Walter Weller, direction
Un album du label Fuga Libera FUG589

cover gatto enescu martinu fl
Georges Enesco
(1881-1955)
Sonate pour violon et piano No. 3 en la mineur, Op. 25
dit « dans le caractère
populaire roumain »

Vassilije Mokranjac (1923-1984)
Sonate pour violon et piano
en sol mineur

Bohuslav Martinů (1890-1959)
Cinq Madrigaux, pour violon et piano

Lorenzo Gatto, violon
Milos Popovic, piano
Un album du label Fuga Libera FUG565

Photo à la une : (c) José-Noël Doumont (Studio Montjoie)