Hasse enfin !

Mai 1986, William Christie enregistrait pour Capriccio la Cleofide de Hasse. Je tombais sous la puissance de cette musique, doutant pourtant qu’Emma Kirkby, avec son joli soprano tête d’épingle, put jamais être l’équivalent moderne de Fausta Bordini ! Mais enfin, la révélation était telle, la résurrection d’Artaserse, de Catone in Utica, d’Artemisia n’était plus que la question d’une ou deux années.

Mais non, rien, le silence renveloppa Hasse, toute la jeune génération des interprètes historiquement informés se rua à l’assaut du plus inconnu des ouvrages de Haendel avant d’exploiter le filon des opéras de Vivaldi, de quoi l’occuper vingt ans durant. On ne s’en est pas plaint. Mais Hasse, tout de même !

Puis, l’année dernière, une embellie soudaine : Max Emmanuel Cencic publiait sous un titre exact mais provocateur, « Rokoko », tout un plein album dévolu à Hasse (1 CD du label Decca 4786418). Feux d’artifices qui fit comprendre pourquoi les partitions de ce maître de l’opéra seria avaient été rapidement reléguées : la virtuosité étourdissante, inhumaine, s’y doublait d’une musique complexe saisissant toute la psychologie des personnages. Il lui fallait non seulement des chanteurs de haut vol mais en plus des interprètes. Et un chef. Car Hasse écrit pour un orchestre somptueux dont le mouvement dramatique provoque un flot ininterrompu d’actions et de sentiments.

George Petrou, remarqué par une formidable série de raretés haendéliennes gravées pour le label allemand MDG, emportait le récital avec feu. Et c’est lui qui donne à ce Siroe, Re di Persia sa carrure incroyable, son allant effréné, sa vie de tous les instants, animant avec un art dramatique clouant, un quatuor de virtuoses comme l’exige l’écriture de cet ouvrage qu’Hasse remit sur le métier à trente ans de distance, créé en 1733 puis repris dans une nouvelle mouture en 1763. Les splendeurs de la Cour de Saxe avaient subi les outrages de la guerre, mais le retour de Siroe fut dignement fêté.

Il sera le dernier opéra de Hasse pour Dresde, qui partira chercher fortune six mois plus tard à Vienne, départ inéluctable après le décès de son protecteur Frédéric Auguste.

Le compositeur intègre dans sa nouvelle version toutes les évolutions connues par le genre au fil de trois décennies, ce qui fait de Siroe une partition assez proche, par le style et l’écriture, du Mitridate, re di Ponto de Mozart, créé à Milan sept ans plus tard.

Max Emmanuel Cencic prend le rôle-titre, y faisant assaut de poésie – Siroe demande autant, sinon plus, d’affects que de pyrotechnies, Franco Fagioli dessine un Medarse fourbe à souhait, Mary-Ellen Nesi émeut en Emira amoureuse de Siroe sous les défroques d’Idaspe, personnage travesti, et Julia Lezhneva – il n’y a pas d’autres mots – s’éclate dans le rôle de la princesse Laodice, elle aussi amoureuse du malheureux Prince : écoutez comment elle ébroue les vocalises fulgurantes de « O placido il mare lunsinghi la sponda ».

Résurrection fastueuse, qui, on l’espère, est l’amorce d’une longue série : Hasse a laissé soixante-dix opéras…

LE DISQUE DU JOURcover hasse siroe petrou decca

Johann Adolf Hasse (1699-1783)
Siroe

Max Emanuel Cencic, contre-ténor (Siroe)
Julia Lezhneva, soprano (Laodice)
Mary-Ellen Nesi, mezzo-soprano (Emira)
Franco Fagioli, contre-ténor (Medarse)
Laureen Snouffer, soprano (Arasse)
Juan Sancho, ténor (Cosroe)
Roxana Constantinescu, mezzo-soprano (Emira)
Armonia Atenea
George Petrou, direction

Un coffret de 2CD Decca 4786768

Photo à la une : (c) Julian Laidig