Sous Mozart, Reicha

Reicha fréquenta à Bonn, deux années durant, Beethoven, son ombrageux contemporain. On assure qu’ils étaient amis. Il lui survivra dix années. Retour à Vienne en 1802 après avoir vécu deux années à Paris.

Le souvenir de Mozart le hante, et sa musique surtout, comme le montrent les premières mesures du Quatuor en ut mineur (Op. 49 No. 1), qui cite le thème initial du 24e Concerto pour piano, non pas objet de variations, mais sujet véritable, et obsessionnel. En dehors de la citation, la complexité polyphonique, l’art vocal, le jeu avec les tonalités, tout indique que Reicha a repris l’histoire du genre là où Mozart l’avait laissé avec ses ultimes Quatuors « Prussiens », et reçu l’esprit du compositeur des mains même de Haydn.

Ironie, Napoléon va le chasser de Vienne et le faire revenir à Paris, qu’il ne quittera plus. On peut voir sa tombe dans la septième division du Père Lachaise. Théoricien encensé, professeur de contrepoint et de fugue au Conservatoire dès 1818 : Liszt, Berlioz, Gounod passeront entre ses mains.

Mais cette carrière officielle ne le détourna jamais de la composition, et ses dix-huit Quatuors prétendent au chef-d’œuvre. Non qu’il cherche à y dialoguer avec Beethoven – personne ne pensait pourvoir suivre l’auteur de la Missa Solemnis dans cette nouvelle galaxie où l’avait conduit la Grande Fugue, pas même Reicha – mais jamais rien du style galant, on voudrait même écrire de l’esprit français, n’y pénétra absolument, sinon en railleries comme la méchante vielle qui s’invite dans l’Allegro scherzando du Quatuor en sol majeur. Mais toujours cette pensée aventureuse, ce style qui dévore les styles, cet art parfois alambiqué jusqu’au bizarre. C’est, de facture, d’un très grand musicien, de propos, à sa manière d’un visionnaire, ce qu’ont saisit les Ardeo, en jouant les trois quatuors choisis avec discernement aussi informés historiquement que possible.

Pour qui ne connaît rien de Reicha, la surprise sera de taille, car enfin cet enfant tardif du Sturm und Drang mérite une place prééminente dans l’histoire de la musique que les historiographes lui ont trop souvent déniée ; pour ceux qui en avaient une idée, voilà enfin des interprètes qui en trouvent les chemins tortueux, complexes, et rendent enfin justice à des partitions fascinantes. Mais trois Quatuors sur dix-huit, c’est trop peu. Il faut une suite !

LE DISQUE DU JOURcouv_ED13240

Anton Reicha (1770-1836)
Quatuors à cordes
Op. 49 No. 1,
Op. 90 No. 2,
Op. 94 No. 3

Quatuor Ardeo

Un album du label L’empreinte Digitale ED13240

Photo à la une : (c) Caroline Doutre