Les Rêves d’Enesco

Sa vie durant, Enesco ne cessa de rêver ses compositions, les notant accessoirement, le plus clair du temps partiellement ; un projet chassait l’autre, la partition restait dans un tiroir, oubliée.

Ce phénomène, présent tout au long de l’existence du compositeur, s’accentua après Œdipe et deviendra une pratique courante durant sa vieillesse : les œuvres n’étaient plus que des fragments de rêves, mais la beauté de ce qui en subsistait, l’originalité déconcertante autant de l’écriture que de la forme, saisirent Pascal Bentoiu qui décida de réaliser Isis, un poème symphonique vocal noté en juin 1923, soit avant la rédaction d’Œdipe, et les deux ultimes œuvres pour orchestre, les 4e et 5e Symphonies.

Bentoiu acheva la réalisation de la 5e Symphonie en 1996. Enesco en avait noté l’essentiel en juillet 1941, orchestrant complètement de grandes parts de l’œuvre : il n’avait qu’à remplir les vides en calquant son instrumentation sur celle du compositeur.

On y gagne une œuvre majeure coulée de la plume d’un musicien revenu dans son pays pour éviter l’occupation allemande, presque contemporaine des si poétiques Impressions d’enfance que l’Andante cite expressément. C’est la symphonie du retour à l’Eden, qui s’ouvre sur une longue phrase des bois portée par des cordes aventureuses. Tout un paysage se dévoile, mordoré, la guerre n’y transparaît que fugitivement, en arrière plan, dans une couleur sombre qui reste tenace malgré les somptuosités d’un orchestre toujours aussi complexe.

Comme pour la Troisième Symphonie, Enesco a recours à la voix dans le Finale, cette fois un chœur et un ténor qui déclamera parlando les ultimes vers du poème de Michail Eminescu. « Je retournerais à la poussière, dans ma solitude », dit –il, après avoir chanté les précédentes strophes en leur associant des mélismes déchirants.

En 1996, Pascal Bentoiu trouva dans les archives un manuscrit intitulé Isis. L’allusion était transparente, Isis était le surnom donné par Enesco à celle qui allait devenir son épouse mais n’était encore que sa maîtresse, Maruca Cantacuzini. Isis qui avait regroupé les membres de son frère Osiris pour lui redonner vie, Isis, symbole de la féminité et de la renaissance éternelle.

Sur cette trame à la fois dramatique et mystique, Enesco écrit un hallucinant poème d’orchestre, d’une atmosphère visionnaire, un mystère musical où les couleurs d’Œdipe sont omniprésentes, ce que Peter Ruzicka et ses musiciens donnent à entendre dans une lecture précise, en détaillant les épisodes les plus fugitifs. Ils trouvent naturellement les chemins complexes – toujours ces innombrables changements de mesure, ces tuilages harmoniques si beaux et si déconcertants à la fois – de la 5e Symphonie. Et maintenant, vite, la 4e !

LE DISQUE DU JOUR

Entwürfe cpo-Cover 05-2014_cover.inddGeorges Enesco (1881-1955)
Isis, Symphonie No. 5

Marius Vlad, ténor
Chœur de la NDR
Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern
Peter Ruzicka, direction

Un album du label CPO 777823-2

Photo à la une, réalisée en 1954 : (c) Yousuf Karsh