Le Concerto oublié

Un accord bref fouetté de caisse claire lance le violon dans une course folle où l’archet s’acharne à répéter quatre fois la même note, Weinberg l’abrasant d’un orchestre péremptoire. Quelle intrada !, qui bientôt conduit à une méditation du violon sur les gouttes d’eau dorée du célesta où une mélodie juive parait fugitivement avant que l’orchestre ogre ne viennent proclamer sa fureur.

Ce Concerto génial – le qualificatif n’est pas excessif – sera resté dans l’ombre du Premier de Chostakovitch malgré tous les efforts que Leonid Kogan déploya : le compositeur y aura saisi la nature même de sa sonorité, une amitié indélébile le lia au violoniste jusqu’à la mort étrange de celui-ci, ils étaient tous deux Ukrainiens avant d’être Russes.

Depuis la gravure princeps que Kogan en réalisa pour (et malgré) Melodiya sous la baguette de Kirill Kondrachine – l’éditeur a depuis publié l’écho du concert de la création de l’œuvre sous la direction de Gennady Rozhdestvensky qui stupéfia Chostakovitch – l’œuvre aura disparu durant quarante ans. Au XXIe siècle, elle aura gagné de nouveaux avocats, Linus Roth, Benjamin Schmid puis Ilya Gringolts ajoutant leurs versions, toutes rendant justice à une partition oubliée du vivant de l’auteur.

Voici que Gidon Kremer, après quelques détours dans le catalogue du compositeur de La Passagère – la résurrection du Concertino, l’arrangement pour son seul violon des 24 Préludes – l’aborde enfin. Et une interrogation me vient. Comment a-t-il pu rester si longtemps aux portes de cette œuvre alors même que sa sonorité abrasée, son archet éloquent jamais soucieux du beau son mais toujours de l’espressivo, est celui qui s’approche le plus de celui de Kogan ?

Peu importe, il l’aura saisi dans toute sa violence et sa tristesse lors de ce concert de février 2020 dans l’orchestre de fer et de ciel sans lune dont l’étreint le Gewandhaus, génialement dirigé par Daniele Gatti, ce musicien splendide que l’œuvre du XXe siècle transcende. Mahlérien naturel, il souligne avec poésie tout ce que cette musique doit à l’auteur du Chant de la Terre dès qu’elle se laisse envahir par le flot de sa veine lyrique.

En ajouts, les formules néo-baroques de la Sonate à deux violons sont croquées avec humour et nostalgie par Gidon Kremer et Madara Pëtersone sans qu’on puisse distinguer l’un et l’autre.

Suggestion : puisque Gidon Kremer découvre encore des concertos à ajouter à son répertoire, pourquoi ne se pencherait-il pas sur ceux d’Aarre Merikanto ?

LE DISQUE DU JOUR

Mieczysław Weinberg (1919-1996)
Concerto pour violon
et orchestre en sol mineur,
Op. 67

Sonate pour deux violons,
Op. 69

Gidon Kremer, violon
Madara Pētersone, violon
Gewandhausorchester Leipzig
Daniele Gatti, direction

Un album du label Accentus Music ACC30518
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Photo à la une : le violoniste Gidon Kremer – Photo : © GK Angie