Pan

Deux compositeurs. Avant que les chemises brunes ne forcent Paul Frankenburger à l’exil en terre d’Israël, le jeune homme inscrivait son œuvre dans le grand concert de la modernité formé à la suite de la Seconde Ecole de Vienne. Mais Munichois de naissance, il entendait aussi les audaces de Franz Schreker et celles de Richard Strauss. C’était déjà en quelque sorte être entre deux mondes, et dans ce territoire mouvant vit le jour au milieu des années vingt un diptyque enchaînant deux des cinq poèmes d’Heinrich Lautensack, une femme rêvant d’un homme qui se révélera dans l’étreinte érotique être le Dieu Pan.

Une soprano, un grand orchestre à géométrie variable, que le compositeur écrivit en 1931, alors qu’il venait d’être mis au ban de la société, l’œuvre est fascinante jusque dans le grand interlude central où résonne une mandoline venue des Nachtstücke du Chant de la nuit mahlérien. Comment une partition si suggestive a pu rester inconnue jusqu’à ce jour ? Heureusement, Omer Meir Wellber l’a inscrit en ouverture de son album consacré à Paul Ben-Haïm – une fois établi en Israël, le jeune homme renia son patronyme germanique –, et c’est le plus bel opus d’un disque documentant les deux visages de son œuvre. Claudia Barainsky, si versée dans ce répertoire – je me souviens de ses Sept Lieder de jeunesse de Berg, de sa Vie éternelle de Schreker – rêve dans son long soprano clair, et envole les élans érotiques du poème, enveloppée dans un orchestre d’automne où passent les lumières rasantes d’un Respighi, merveille absolue qui commande l’achat de l’album.

La Pastorale variée, en fait un concertino pour clarinette, harpe et orchestre à cordes, se pique déjà d’introduire des thèmes de musique juive, Paul Ben-Haïm inféodant sa veine lyrique à leurs carrures qui y semblent arbitrairement importées. La Première Symphonie sera autrement saisissante, commencée dans des musiques de guerre, et s’en éloignant peu à peu, le matériau thématique se laissant envahir à mesure par les mélodies que le chanteur yéménite Bracha Zefira lui aura révélées et qui tisseront le thème infini du Largamente.

Partition admirable, dont Omer Meir Wellber restitue le double visage avec art. Si la Première Symphonie fut le premier opus entièrement écrit en Terre promise, Paul Frankenburger ne s’y est pas encore effacé au profit de Paul Ben-Haïm, ambigüité qui paraissait avec moins d’évidence dans la très belle gravure – alors une première mondiale – d’Israel Yinon pour CPO.

Espérons que Chandos et Omer Meir Welber poursuivront dans l’illustration des premières œuvres de Paul Frankenburger, Joram, le grand oratorio achevé en 1933, mériterait tous leurs soins.

LE DISQUE DU JOUR

Paul Ben-Haïm (Paul Frankenburger) (1897-1984)
Pan, Op. 17 – Poème symphonique pour soprano et orchestra, sur un texte de Heinrich Lautensack
Pastorale variée pour clarinette, cordes et harpe,
Op. 31b

Symphonie No. 1

Claudia Barainsky, soprano
John Bradbury, clarinette
BBC Philharmonic
Omer Meir Wellber, direction

Un album du label Chandos CHAN20169
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Photo à la une : le compositeur Paul Ben-Haïm – Photo : © DR