Père et fils

Le père de l’école de piano soviétique ? Né dans le monde d’hier, et dans le milieu pro-européen de la grande bourgeoisie moscovite peu douée pour la Révolution, Heinrich Neuhaus prolongea au contraire dans l’histoire du piano russe cet art élégant, ce toucher subtil, ces couleurs décadentes qu’évoquent l’ancien régime. Richter se reconnut en lui, un Allemand de Russie lui aussi, et comme son professeur perdu dans ce monde moderne où la politique entendait bien se servir de l’art, et pour cela asservir les artistes.

Neuhaus se protégea de son époque en s’entourant de ses élèves, il garda toujours en mémoire ce temps béni d’avant la Révolution, lorsqu’il étudiait à Berlin, à Vienne avec Godowsky, lorsqu’il passait ses étés avec son cousin Karol Szymanowski, se jouant tous deux à tour de rôle des Mazurkas. Chopin sera son dieu, mais il faut entendre aussi son Bach limpide, pas si éloigné que cela de celui de Feinberg, et son Debussy mystérieux, sensible.

Son héritage discographique est enfin rassemblé ici, mais la vraie surprise sera pour beaucoup de découvrir dans la même boîte les enregistrements de son fils, Stanislav. De son père, il hérita la magie sonore d’un clavier sans marteaux, les timbres, le cantabile, et cette élégance folle dans Chopin, mais une dimension supplémentaire – que son père par pudeur naturelle, ou peut-être un peu Allemand encore, moins Russe que son fils – s’interdisait. Dyonisos versus Apollon ?

Oui, une flamme, mais aussi une fêlure, habitaient Stanislav Neuhaus, dont Brigitte Engerer, qui fut un peu plus que son élève, m’entretint en toute discrétion. Jeune homme, il se prit de passion pour Vladimir Sofronitsky, assistant à tous ses concerts, et s’immergea alors dans Scriabine : écoutez le récital du 10 juin 1969 et vous comprendrez à quel point le fils eut certainement plus de génie que le père, mais pas moins d’art !

LE DISQUE DU JOUR

The Art of Heinrich and Stanislav Neuhaus

Œuvres de Johann Sebastian Bach (1685-1750), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Johannes Brahms (1833-1897), Frédéric Chopin (1810-1849), Claude Debussy (1862-1918), Franz Liszt (1811-1886), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Sergei Prokofiev (1891-1953), Sergei Rachmaninov (1873-1943), Robert Schumann (1810-1856), Dmitri Chostakovitch (1906-1975), Alexandre Scriabine (1871-1915), Anton Arenski (1861-1906), Franz Schubert (1797-1828)

Heinrich Neuhaus , piano
Stanislav Neuhaus , piano

Dmitry Tsyganov, violon
Vadim Barisovsky, alto
Sergei Shirinsky, violoncelle

USSR Radio Symphony Orchestra
Alexander Gauk, direction
Nicolai Golovanov, direction
Vladimir Degtyarenko, direction
Nicolai Anosov, direction
Vladimir Doubrovsky, direction

Un coffret de 20 CD du label Scribendum SC634
Acheter l’album sur le site du label Scribendum, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr

Photo à la une : le pianiste Heinrich Neuhaus – Photo : © DR