Les deux virtuoses

Paul Wee a fait son droit mais n’a jamais quitté son piano, et pianiste il est d’abord et des plus virtuoses, appartenant à la race des Setrak et des Katsaris, qui aiment à chercher dans le rare. Un premier disque Alkan attestait de sa virtuosité folle, qui ne faisait qu’une bouchée de deux opus englobés dans les Etudes en mineur, et y ajoutait des visions, comme dans l’Allegretto alla barbaresca qui clôt le Concerto, vraie bacchanale où il faut du génie pour emporter les éléments mauresques qu’Alkan aurait pu prendre au Samson et Dalila de Saint-Saëns. Admirable, autant de doigts que d’esprit, et jusque dans la redoutable Marche funèbre de la Symphonie.

Mais avoir des doigts et de l’appétit est une chose, posséder la vraie virtuosité qui entend bien ne pas se faire remarquer, une autre. Justement Thalberg y veilla en publiant L’art du chant appliqué au piano, vaste cahier de transcriptions puisant dans l’opéra romantique et qui se dresse dans une certaine pureté contre les paraphrases dont Liszt fit son fond de commerce.

Puisque Bellini, Rossini, Mozart, Donizetti, Weber, Meyerbeer écrivaient pour la voix, Thalberg infusa le bel canto dans son piano, demandant à son interprète l’impossible : faire oublier les marteaux.

Que le pianiste chante comme une soprano !, et dès A te, o cara, le grand meuble sous les mains éloquentes de Paul Wee fait chanter le quatuor des Puritani.

Les deux disques sont une collection de perles, et font un voyage au cœur du Romantisme où les talents de ce jeune homme si doué trouvent à s’employer, couleurs et legato se mariant pour peindre des paysages stupéfiants de poésie. Lorsque le Lacrimosa du Requiem murmure sa nuit de sépulcre, l’émotion submerge l’art.

Magnifique ensemble, qu’un jour peut-être Marc-André Hamelin aurait osé. Le voilà pour une fois coiffé au poteau.

LE DISQUE DU JOUR

Charles-Valentin Alkan
(1813-1888)
Symphonie pour piano solo (Douze Études dans tous les tons mineurs, Op. 39 Nos. 4 à 7)
Concerto pour piano solo (Douze Études dans tous les tons mineurs, Nos. 8 à 10)

Paul Wee, piano

Un album du label BIS Records 2465
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Sigismond Thalberg
(1812-1871)
L’art du chant appliqué au piano, Op. 70
Trois Mélodies de Schubert, Op. 79a
Auf Flügeln des Gesanges (d’après Mendelssohn, MWV K 86)
Mi manca la voce, extrait du
« Mose in Egitto » de Rossini (pour piano seul)

Paul Wee, piano
Un album du label BIS Records 2515
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Photo à la une : le pianiste Paul Wee – Photo : © DR