Pour le Service Funèbre de Monsieur Rameau

Jean Gilles se doutait-il en composant son Requiem qu’il accompagnerait au tombeau non seulement André Campra, Pancrace Royer, Stanislas Lesczynski, mais aussi Louis XV lui-même ?

La célébrité de l’ouvrage comme son usage pour la pompe funèbre ne se sont pas démentis jusqu’en 1770, année où il paraît pour la dernière fois au Concert Spirituel. Le 27 septembre 1764, l’Oratoire du Louvre l’entendait résonner devant le cercueil de Rameau, qui s’était éteint le 12 septembre dans sa quatre-vingtième année.

Cette partition ancrée dans le style des musiques d’église de la fin du XVIIe siècle était devenue un classique, mais ses reprises lors de services funèbres du siècle suivant furent l’occasion d’arrangements, de réécritures, d’ajouts signés entre autres par Corrette. Rebel et Francœur entreprirent à leur tour de revisiter la partition pour rendre hommage à Rameau, interpolant à la fin du Kyrie le « Que tout gémisse » de Castor et Pollux adapté sur des paroles latines.

Le compositeur Jean Gilles (1668-1705)
Le compositeur Jean Gilles (1668-1705)

Voici que Skip Sempé grave cette version tardive du chef-d’œuvre de Jean Gilles, à laquelle s’ajoutent deux apostilles : le Rondeau tendre de Dardanus et l’Air des Esprits infernaux de Zoroastre. Comparer la mouture tardive avec l’original dévoile à quel point le goût avait évolué. Ce Requiem n’est plus seulement un office, il est un théâtre de l’affliction, où se glisse le visage de Rameau et son style si altier.

Rebel et Francoeur ont introduit dans le discours des italianismes, effectué une synthèse des styles donnant aux pages de Gilles une éloquence plus souple, des effets magiques comme dans l’Offertoire sur Libera eas de ore leonis avec ses flûtes plaintives. Les mélismes du chœur, l’orchestre abondant et coloré, le texte animé d’affects, tout cela rayonne et parle sous la direction poétique de Skip Sempé.

L’Élévation, emmenée avec aplomb par Judith van Wanroij, devient un air d’opéra ultramontain qui dut faire frémir Rameau par delà la mort – soudain on n’est pas si loin de Mozart ! Ces styles mêlés, ces ambigüités historiques inspirent à Skip Sempé et à toute sa troupe une lecture pleine de panache, un vrai théâtre des sentiments, où brille une virtuosité sans frein. Bien plus qu’une curiosité, une révélation.

LE DISQUE DU JOUR

Le Service funèbre de Rameau – Paris 27.IX.1764

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Jean Gilles
Messe des Morts (Requiem)

Judith van Wanroij, soprano
Robert Getchell, haute-contre
Juan Sancho, taille
Lisandro Abadie, basse

Capriccio Stravagante Les 24 Violons
Collegium Vocale Gent
Skip Sempé, direction

Un CD Paradizo PA0013
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Photo à la une : (c) DR