Ravel enfin

Vlado Perlemuter lui aura-t-il soufflé quelques secrets ? La dissolution pleine de fantômes du lent des Valses nobles et sentimentales, le chef-d’œuvre le moins saisissable du piano de Ravel, atteint sous les doigts de Michel Dalberto ce balancement imperceptiblement mais immuablement alenti où se dissout une impossible confession. C’est déjà un entre-cloches, un carillon nocturne hypnotique que le pianiste retrouvera à la fin de son album : sa Vallée des cloches où résonne forte un glas obstiné qu’il ne veut pas fondre dans le paysage est la plus angoissée que j’ai entendue depuis celle de Samson François. Dalberto y ajoute cette distance imperceptible qui fait entrer la fantasmagorie ravélienne dans un cadre ordonné : cette Vallée n’est pas très loin du belvédère de Montfort-l’Amaury.

La Sonatine est un tout autre monde en gris coloré, Dalberto n’effeuille pas son Modéré dans le frémissement qu’y évoquait Walter Gieseking, il dit les sections avec précision donnant à tout cela un certain côté Tombeau de Couperin qui transparaît aussi dans le Mouvement de Menuet. L’Animé est probablement hors concours, ses volées de cloches dans les feuilles retrouvant le modèle debussyste, puis soudain cette tension qui fait plonger l’œuvre dans un abîme sans que le tempo cède.

Quel art !, qui enténèbre dans une nuit avec une toute petit lune Ondine, fait sourd le glas du Gibet, piano étouffé, empoisonné, et déclenche une froide terreur tout au long d’un Scarbo comme sorti du crayon de Spillaert, fantastique étude de noirs plus ou moins sombres.

Trois Miroirs seulement, Oiseaux chantant pour eux seuls, perdus plutôt que tristes, que vient caresser le chant de la main gauche, autre dialogue de La Belle et de la bête, Alborada impeccable, stylée, cambrée, qui se garde de toute charge et file comme celle de Lipatti, et puis cette Vallée.

Puisque Michel Dalberto n’a pas voulu tout Miroirs, voudra-t-il demain Le Tombeau de Couperin, Ma Mère l’Oye, la Pavane et Jeux d’eau ?

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)
Valses nobles et sentimentales, M. 61
Sonatine, M. 40
Gaspard de la nuit, M. 55
Miroirs, M. 43 (3 extraits :
II. Oiseaux tristes, IV. Alborada del gracioso, V. La Vallée des cloches)

Michel Dalberto, piano

Un album du label Aparté AP225
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Photo à la une : le pianiste Michel Dalberto – Photo : © DR