Furioso

C’est l’intégrale toujours mise à part, peut-être à cause de ses deux orchestres si contrastés, de la monophonie, certains iront même, pervers comme ils l’osent, lui préférer le cycle de la Radio Suisse ItalienneScherchen, conscient qu’il devait tout tenter face à l’impossible, aura incendié une formation qui veut le suivre mais ne le peut pas toujours.

L’année Beethoven aura permis de réévaluer enfin dans les meilleures conditions le cycle Westminster, les précédentes rééditions (MCA, Tahra), partant de copies qui en réduisaient les dynamiques, mettaient les couleurs si spécifiques des Viennois en grisaille. Le coffret est artistement réalisé, trois belles photographies, un texte exemplaire signé Marco Frei qui remet le geste si hardi de Scherchen dans le paysage singulier de l’interprétation beethovénienne des années cinquante, mais le son surtout est saisissant de présence, on n’avait simplement jamais entendu ce cycle aussi parfaitement restitué, Rainer Maillard a entrepris un vrai « labour of love » dans son studio Emil Berliner, faisant enfin parler les bandes originales.

Parler, c’est bien ce que fait Scherchen, qui dit son Beethoven comme un acteur dirait son Schiller. Cela déclame et s’embrase, le rythme pressé des mots emporte tout l’orchestre qui proclame le modernisme de Beethoven avec une éloquence insensée que seul alors Wilhelm Furtwängler pouvait encore égaler mais en des termes différents. Pour Scherchen, le génie de Beethoven se trouve dans le rythme, et son intuition le pousse à choisir des tempos prestissimes que les tenants des interprétations historiquement informées ne démentiront pas.

Avec le Royal Philharmonic, la furia atteint son comble, Scherchen s’enivrant de leurs pupitres virtuoses, la 8e est justement célèbre, la 4e l’égale. À Vienne, secouant la tradition, il obtient des musiciens de l’opéra un engagement absolu, quitte à faire souffrir le quatuor des cordes.

Mais la poésie des bois, le tranchant des cuivres, les attaques fulgurantes saisissent tout au long du cycle, et plus encore dans les 3e et 6e que Scherchen reprit en 1958, amorce d’une intégrale stéréophonique qui en resta là. Cette Eroica et cette Pastorale sont de pures folies, capturent l’essence même de la suractivité beethovenienne. Mais écoutez aussi les Ouvertures, brasiers de sons, et la 9e, entre méditation cosmique et geste épique et guettez au Finale l’entrée de la merveilleuse Magda László.

Rainer Maillard se penchera-t-il demain sur la musique de scène pour EgmontMagda László brille également, en la joignant avec Le Christ au Mont des Oliviers pour ce qui ferait un beau double album utile (Le Christ ne se trouvant que dans un fort coffret, Egmont seulement réédité chez Tahra.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les Symphonies (Intégrale)
No. 1 en do majeur, Op. 21
No. 6 en fa majeur, Op. 68 « Pastorale » (enr. 1951)
No. 2 en ré majeur, Op. 36
No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
No. 8 en fa majeur, Op. 93
No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Eroica » (enr. 1953)
No. 5 en ut mineur, Op. 67
No. 7 en la majeur, Op. 92
No. 9 en ré mineur, Op. 125 « Chorale »

Magda László, soprano – Hilde Rössel-Majdan, contralto – Petre Munteanu, ténor – Richard Standen, basse – Chœur de l’Académie de Vienne

Ouvertures
Wellingtons Sieg, Op. 91
Ouverture « Leonore I », Op. 138
Ouverture « Leonore II », Op. 72a
Ouverture « Leonore III », Op. 72b
Ouverture « Fidelio », Op. 72
Ouverture « Coriolan », Op. 62
Ouverture « König Stephan », Op. 117
Ouverture « Zur Namensfeier », Op. 115
Ouverture « Les Créatures de Prométhée », Op. 43
Ouverture « Les Ruines d’Athènes », Op. 113
Ouverture « La Consécration de la maison », Op. 124

Grande Fugue, Op. 133 (version orchestrale)
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Eroica » (enr. 1958)
Symphonie No. 6 en fa majeur, Op. 68 « Pastorale » (enr. 1958)

Orchester der Wiener Staatsoper
Royal Philharmonic Orchestra (Symphonies Nos. 2, 4, 5, 8)
English Baroque Orchestra (Grande Fugue)
Hermann Scherchen, direction

Un coffret de 8 CD du label Deutsche Grammophon 4838163
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Photo à la une : le chef d’orchestre Hermann Scherchen – Photo : © Laszlo Ruszka