Classicisme

Samson François, abordant pour le seul disque l’intégrale de l’œuvre pour piano de Maurice Ravel en la voyant sous le prisme unique du Concerto pour la main gauche, en changea radicalement le ton : fantasque, étrange, morbide.

C’était aller à rebours du classicisme instauré par deux pianistes de première force qui avaient travaillé auprès de Ravel, Robert Casadesus et Vlado Perlemuter. Le premier réalisa une intégrale parfaite, indémodable, le second y ajouta cette mélancolie du son, ce presque rien d’émotion qui faisait chavirer Jankélévitch lorsqu’il écoutait Miroirs selon Vlado : il touchait là enfin à cet indicible, vertu suprême de ce qu’il proclamait être l’esprit français.

Vlado Perlemuter donna jusque dans ses dernières années, en deux soirées, l’intégrale du piano de Ravel, sa sonorité onirique emportant très loin son public. Je retrouve cette magie blanche dans le récital du Château de Saverne, et quel programme ! alors qu’il était au sommet de ses moyens, n’hésitant pas à jouer en une soirée Miroirs et Gaspard de la nuit, et d’y intercaler les périlleuses Valses nobles et sentimentales, qu’il jouait comme des danses prêtes à sombrer dans l’abîme – l’effeuillement des thèmes fantômes à la fin du cahier est hypnotique.

Miroirs sublimes de torpeur, avec une Alborada del gracioso stylée, une Barque sur l’océan fluide, une Vallée des cloches perdue, d’une mélancolie indélébile. Gaspard de la nuit sans effet, pur, et plus troublant par cela. Mais commencez l’écoute par la Sonatine qui ouvre le concert, émouvante, belle comme une stèle. Cette soirée Ravel vient après bien des volumes de cette collection où le compositeur de L’Enfant et les sortilèges a été abondamment illustré, et même par l’édition des émissions où Perlmemuter joue et commente les œuvres en compagnie d’Hélène Jourdan-Morhange.

Le volume suivant nous offre une lecture éloquente mais surtout évidente de la Sonate de Liszt, des Feux follets très Ravel et des Debussy impérissables : trois Etudes où son clavier s’emplit de couleurs fauves, belles comme des toiles de Bonnard, un Pour le piano joué comme un manifeste, avec une Sarabande « canope » et un Final où danse déjà le faune qui rit dans son syrinx au long d’une Isle joyeuse d’anthologie.

LE DISQUE DU JOUR

Vlado Perlemuter
Edition – Vol. 10

Maurice Ravel (1875-1937)
Sonatine, M. 40
Miroirs, M. 43
Jeux d’eau, M. 30
Valses nobles et sentimentales, M. 61
Gaspard de la nuit, M. 55
Le Tombeau de Couperin, M. 68 (2 extraits : III. Forlane, VI. Toccata)

Vlado Perlemuter, piano
Enregistré au Château des Rohan, à Saverne, le 12 juin 1954
Un album du label St-Laurent Studio T-904
Acheter l’album sur le site du label www.78experience.com

Vlado Perlemuter
Edition – Vol. 11

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Sinfonia No. 3 en ré majeur, BWV 789
Muzio Clementi (1752-1832)
Etude en fa dièse mineur,
Op. 44 No. 24

Franz Liszt (1811-1886)
Sonate pour piano en si mineur, S. 178
Feux follets (No. 5, extrait des « Études d’exécution transcendante, S. 139 »)
Claude Debussy (1862-1918)
Etudes, L. 143 (3 extraits : Nos. 2, 10, 12)
Pour le piano, L. 95
L’Isle joyeuse, L. 109

Vlado Perlemuter, piano
Enregistré au Château des Rohan, à Saverne, le 12 juin 1954
Un album du label St-Laurent Studio T-946
Acheter l’album sur le site du label www.78experience.com

Photo à la une : le pianiste Vlado Perlemuter – Photo : © DR