Le Génie

13 juillet 1997, Sergio Fiorentino connaissait alors l’acmé de sa seconde carrière de concertiste, les Etats-Unis le redécouvraient, et il aimait à se produire devant le public rajeuni du festival de Newport. Cela s’entend dans ce récital où l’on croit voir un jeune homme de vingt ans qui piaffe son Chopin, le joue avec une élégance folle et une sorte d’ivresse qui emporte les Valses, envole les Mazurkas, avec une poésie trouble pour les Nocturnes et les doigts d’un diable pour les quatre Etudes placées au centre du programme. Un diable ? Pourtant, dans les gris colorés de l’Etude en mi bémol mineur, quelle mélancolie que Fiorentino sculpte avec une una corda qui semble soupirer.

C’est le paradoxe de ce récital si brillant – écoutez le Prélude en si bémol mineur qui fuse ! : savoir aussi soudain faire entendre cet envers si sombre. Mais toujours, la splendeur aveuglante de ce piano rayonne, soleil noir, qui rappelle tout le génie de Fiorentino.

Impossible de croire que l’année suivante, il ne serait plus, trahi à soixante-dix ans par un cœur que l’élan de son jeu ne nous faisait pas soupçonner aussi fragile. Yves St-Laurent a d’ailleurs initié sa série par la publication de son ultime récital.

Le grand son de l’orgue lui fait littéralement imploser le Steinway modeste pour un Bach/Busoni qui regarde celui d’Arturo Benedetti Michelangeli droit dans les yeux, la Troisième Sonate de Chopin est admirablement classique de ligne, quasi du Lipatti dans le texte, les bis sont empreints d’une nostalgie un peu inquiète, savait-il sa fin proche ?

Sa Sonate « Les Adieux », incroyable d’atmosphères, de sentiments, de sens de la narration, qui d’autre aurait pu la jouer ainsi après Rudolf Serkin ? Le Finale, tenu et qui piaffe d’autant, est si singulier, rappelant que Fiorentino avait passé des années loin de la scène, polissant son art d’orfèvre. J’ai hâte de voir paraître le troisième volume de cette série d’inédits qui vient augmenter la discographie de ce génie du piano du XXe siècle.

LE DISQUE DU JOUR

Sergio Fiorentino
Edition – Vol. 2

Frédéric Chopin (1810-1849)
24 Préludes, Op. 28 (4 extraits : Nos. 15, 16, 17, 23)
Valse en mi bémol majeur,
Op. 18

Valse en ut dièse mineur,
Op. 64 No. 2

Valse en la bémol majeur,
Op. 34 No. 1

Nocturne en ré bémol majeur, Op. 27 No. 2
Nocturne en fa dièse majeur, Op. 15 No. 2
12 Etudes, Op. 10 (4 extraits : Nos. 4, 6, 8, 10)
Mazurka en ut dièse mineur, Op. 50 No. 3
Mazurka en si bémol majeur, Op. 7 No. 1
Mazurka en si mineur, Op. 33 No. 4
Mazurka en ré majeur, Op. 33 No. 3
Polonaise en ut dièse mineur, Op. 26 No. 1
Ballade No. 3 en la bémol majeur, Op. 47
Valse en la bémol majeur, Op. 42
Valse en ré bémol majeur, Op. 64 No. 1

Sergio Fiorentino, piano
Enregistré dans le cadre du Newport Music Festival, à Ochre Court, le 13 juillet 1997
Un album du label St-Laurent Studio YSLT-1058
Acheter l’album sur le site du label www.78experience.com

Sergio Fiorentino
Edition – Vol. 1

Ferruccio Busoni (1866-1924)
Prélude et Fugue en ré majeur, BV B 20 (d’après le BWV 532,
pour orgue, de J. S. Bach)

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 26 en mi bémol majeur, Op. 81a
“Les Adieux”

Frédéric Chopin (1810-1849)
Sonate pour piano No. 3 en si mineur, Op. 58
Nocturne en fa dièse majeur, Op. 15 No. 2
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Vocalise (arr. Fiorentino)

Sergio Fiorentino, piano
Enregistré en Italie, à Rocca Vescovile di Bertinoro, le 10 août 1998
Un album du label St-Laurent Studio YSLT-899
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Photo à la une : le pianiste Sergio Fiorentino – Photo : © DR