Coda romantique

C’était à l’automne 1992, dans les jardins de la Résidence de Würzburg, un ami allemand me présenta son professeur de composition, silhouette émaciée, long visage disparaissant derrière une crinière poivre et sel : Heinz Winbeck. Quelques minutes de conversation, des échanges polis, des banalités, puis le compositeur me laissa là, repartant avec son élève. Je ne savais rien d’Heinz Winbeck. Dix ans plus tard, je découvrais deux quatuors sidérants. Essaierais-je de reprendre contact ? Par le service des échanges internationaux de la Radio, je pus obtenir une copie d’un concert de la Première Symphonie, tsunami de sons, rouleau compresseur, ostinato implacable, inexorable, qui épuisait deux siècles de création symphonique.

De loin en loin, je surveillais sur les antennes allemandes l’apparition de ses œuvres, la Troisième Symphonie d’après Trakl, avec son récitant et son alto, puis l’œuvre au noir, sidérante d’amertume, d’angoisse du « De Profundis », sa 4e Symphonie. Le temps fila, je remettais toujours la lettre que je voulais lui écrire, j’oubliais et finalement me rappelais de tout cela en apprenant sa mort au mois d’avril de l’année dernière.

Et voilà que me parvient le tombeau de cette œuvre au noir qui assemble des captations en concert de ces cinq symphonies. Heinz Winbeck y apparaît derrière les masques de ses écritures radicales comme le fils spirituel de Gustav Mahler, composant des œuvres où flamboie un orchestre monde, où ardent des citations obsessives (le motif de la Chevauchée nocturne de Sibelius qui colore la Symphonie No. 2), où les récitants creusent au sein des partitions un espace dramatique où s’engouffrent les chanteurs : des partitions hallucinantes de puissance suggestive, de mystère rédempteur.

Par où commencer ? Par la Première Symphonie qui vous broiera, ou par le carillon de Saint Florian qui ouvre la 5e Symphonie et introduit à la nuit mystique du Finale de la 9e Symphonie de Bruckner que Winbeck recompose dans un rêve effaré : composée dix ans avant sa mort, elle est à la fois le tombeau de son art et son requiem intime.

Le coffret est artistement réalisé, le livret contient des introductions fouillées en allemand et en anglais, puisse-t-il vous inciter à découvrir ce génie, en espérant que l’éditeur poursuive avec les trois Quatuors !

LE DISQUE DU JOUR

Heinz Winbeck (1946-2019)
Les cinq Symphonies

Symphonie No. 1 « Tu solus »
Bruce Weinberger, saxophone ténor – Symphonieorchester des Bayerischen RundfunksMuhai Tang, direction

Symphonie No. 2
ORF Radio-Symphonieorchester WienDennis Russell Davies, direction

Symphonie No. 3 « Grodek »
Christel Borchers, mezzo-soprano – Udo Samel, récitant – Deutsches Symphonie-Orchester BerlinMathias Husmann, direction

Symphonie No. 4 « De Profundis »
Werner Buchin, contre-ténor – Christel Borchers, mezzo-soprano – Günter Binge, baryton – Wolf Euba, récitant – Konzertchor DarmstadtBeethoven Orchester BonnDennis Russell Davies, direction

Symphonie No. 5 « Jetzt und in der Stunde des Todes »
Deutsches Symphonie-Orchester BerlinDennis Russell Davies, direction

Un album du label TYXart TXA17091
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Photo à la une : le chef d’orchestre Dennis Russell Davies – Photo : © DR