Solemnis

En 1972, dans la salle du Gewandhaus, Kurt Masur gravait pour Eterna la Missa solemnis, lecture oubliée, perdue dans une discographie déjà profuse du moins à l’Ouest du Rideau de fer. Mais à l’Est, l’œuvre était devenue rare au concert, quasi absente au disque, c’était la partition la moins prisée du maître de Bonn par les dirigeants de la RDA, il s’est longtemps murmuré que Kurt Masur dut batailler pour imposer l’idée d’un enregistrement que la firme d’Etat publierait en disque.

Le geste un peu tendu, le chœur brouillon, dépareillé par des pupîtres féminins acides, un Gewandhaus qui joue avec un recueillement certain que le violon de Gerhard Bosse avive encore, un quatuor emporté par Peter Schreier qui semble un Evangéliste face au velours d’Anna Tomowa-Sintow tout juste découverte ; cela nous fait un document, c’est certain, mais une version de second rayon pour un chef-d’œuvre si enregistré.

Au Musikverein, les 18 et 19 avril 1985, Michael Gielen creuse l’espace de l’immense assemblée, conduit dès le Kyrie une prière orante, une célébration d’une force spirituelle peu commune qui étreint. Quelle surprise de voir ce parangon de la modernité retrouver les tempos des grands anciens, leurs phrasés longs, leurs chœurs sculptés.

À mesure qu’on entre dans ce temple, des perspectives vertigineuses se dévoilent, emportant un quatuor ardent ; la complexité de l’écriture, ses polyphonies savantes que Gielen souligne, rappellent qu’ici Beethoven non seulement se souvient de Bach mais espère l’y égaler ; les envols d’Alison Hargan, soprano magnifique à la trop courte carrière ! … tout participe d’une messe bouleversante qui d’abord se veut prière, car Gielen refuse l’idée d’un hymne non pas à Dieu mais à l’être suprême, il embrasse la dimension mystique, nous convie à un mystère d’une envoûtante beauté, l’émotion de ce concert allant plus loin que son autre version (également captée en public, et filmée d’ailleurs). Qui est le violon qui déploie un chant si expressif dans le Benedictus ? Mystère … en aucun cas, vous ne devez vous passer de cet ajout majeur à la discographie de Michael Gielen.

BBC Legends avait publié voici quelques années une stupéfiante Missa solemnis donnée le 23 février 1961 par Jascha Horenstein avec les forces de la BBC au Maida Vale Studio de Londres, l’acoustique sèche du lieu en déparant l’enregistrement, mais voici que Pristine Audio révèle la captation du concert donnée le 11 octobre 1958 au Victoria Hall de Leeds à l’occasion du Festival.

Le chœur immense, bien plus étoffé que celui que pouvait contenir le Maida Vale Studio, majoritairement composé de chorales amateurs qui ardent le texte de la messe, le degré supérieur de qualité de l’orchestre – le Philharmonia auquel Karajan avait fait travaillé l’œuvre – et la pure beauté de timbre, de phrasés, du violon d’Hugues Bean suffiraient à placer ce concert très en haut dans la discographie, d’autant que le quatuor, quasiment le même qu’en 1961, Peter Pears se substituant ici à Richard Lewis, est de toute beauté : soprano séraphique de Teresa Stich-Randall, alto profond de Norma Procter, ténor immense de Pears, basse chantante si émouvante de Kim Borg. L’ensemble est emporté par la direction ardente, visionnaire, extrémiste, exultante de Jascha Horenstein, qui brosse à fresque l’œuvre, en fait rugir les polyphonies, éclater les crescendos. Quelle exaltation !, quelle élévation !, historique absolument.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Missa solemnis, Op. 123

Anna Tomowa-Sintow, soprano
Annelies Burmeister, contralto
Peter Schreier, ténor
Hermann Christian Polster, basse
Rundfunkchor Leipzig
Gewandhausorchester Leipzig
Kurt Masur, direction
Un album du label Berlin Classics 0301489BC
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Ludwig van Beethoven
Missa solemnis, Op. 123

Alison Hargan, soprano
Marjana Lipovšek, contralto
Thomas Moser, ténor
Matthias Hölle, basse
Wiener Singverein
ORF Vienna Radio Symphony Orchestra
Michael Gielen, direction
Un album du label Orfeo C999201
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Ludwig van Beethoven
Missa solemnis, Op. 123

Teresa Stich-Randall, soprano
Norma Procter, contralto
Peter Pears, ténor
Kim Borg, basse
Leeds Festival Chorus
Philharmonia Orchestra
Jascha Horenstein, direction
Enregistrement réalisé sur le vif en 1958
Un album du label Pristine Audio PACD168
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Photo à la une : un manuscrit beethovénien de l’époque de composition de la Missa solemnis – Photo : © DR