Divinités du Styx

Un grand lamento, avec larmes de flûtes et archets consolateurs, puis une scène lyrique en trois tableaux qui pourrait-être un petit opéra, voici les deux visages d’Orphée que Marc-Antoine Charpentier mit à son catalogue.

C’était répondre de sa façon discrète et pénétrante à la grande débauche italienne que Luigi Rossi avait osé pour Mazarin en dévoilant son Orfeo à Paris. Presque quarante plus tard, Charpentier, si sensible à l’italianisme, en aura fait discrètement son miel, puisant autant chez Rossi que chez Carissimi : son Orphée descendant aux enfers où paraissent Tantale et Ixion est très peu français, mais si troublant par sa mélancolie têtue, jusque dans l’ultime volet, Reinould van Mechelen y mettant sa voix melliflue et une discrète prononciation historique qui s’accorde aux harmonies diaprées du continuo, mais y fera-t-il oublier le chant plus dramatique d’Henri Ledroit ? L’angle y est si différent, préférant toujours le chant à la déclamation, que j’en ai été plus d’une fois troublé.

Dans les mêmes années 1680, Charpentier composa pour le salon de Marie de Lorraine, duchesse de Guise, un petit opéra peint en couleurs vives, La descente d’Orphée aux enfers, Charpentier y parut en Ixion, le premier Acte avec sa bergerie et jusqu’à la morsure du serpent qui précipite Eurydice au trépas, rappelle Monteverdi jusque dans ses chœurs de nymphes et de pâtres à l’écriture madrigalesque, ses concerts de flutiaux. Mais la chaconne de la plainte d’Orphée qui s’y enchaîne (Ah ! bergers, c’en est fait) est absolument française.

La descente d’Orphée aux enfers est un petit bijou de « goûts réunis », son acte aux enfers une sombre splendeur qui dépasse le cadre du salon pour atteindre à une vérité dramatique certaine. L’œuvre a eu de la chance au disque, Paul Agnew et William Christie en avaient signé un enregistrement solaire, éblouissant, que Robert Getschell avec Sébastien Daucé, Cyril Auvity avec Romain Khalil auront tenté de renverser, mais dans l’éloquence et l’affliction, dans l’élégie de la douleur et la félicité de la résurrection, les nouveaux venus retrouvent le grand théâtre que William Christie y avait inventé, assaisonnant la musique de Charpentier d’une prononciation historiquement informée qui, pour certains, sera un argument, pour d’autres un repoussoir. Pourtant, impossible de ne pas céder à l’Orphée très fils d’Apollon de Reinoud van Mechelen.

LE DISQUE DU JOUR

Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
Orphée descendant aux enfers, H. 471
La descente d’Orphée aux enfers, H. 488

Vox Luminis
Zsuzsi Tóth, dessus (Daphné)
Stefanie True, dessus (Proserpine)
Clara Coutouly, dessus (Énone)
Victoria Cassano, bas-dessus (Aréthuse)
Raphael Höhn, haute-contre (Ixion)
Philippe Froeliger, taille (Tantale, Ixion 4, 6)
Lionel Meunier, basse-taille (Apollon, Titye, Tantale 4, 6)
Geoffroy Buffière, basse (Pluton)

A Nocte Temporis
Déborah Cachet, dessus (Eurydice)
Reinoud van Mechelen, haute-contre (Orphée)

Reinoud van Mechelen & Lionel Meunier, direction musicale

Un album du label Alpha 566
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Photo à la une : le ténor Reinoud Van Mechelen – Photo : © DR