Rencontre

Un cycle de ténor, An die ferne Geliebte ? Je croyais bien que Fritz Wunderlich et Ivan Kozlowsky l’avaient volé à jamais aux barytons, mais pourtant Gerhard Husch, Hermann Prey, Dietrich Fischer-Dieskau … quelque chose me manquait, l’abandon, l’émotion, le « fleur de lèvres » que les ténors, si prompts à s’enivrer des voyelles des mots, transformaient en émotions, magie du timbre.

Il fallait peut-être plus sombre de timbre, Hotter ? Puis vint Matthias Goerne, inattendu, changeant d’étiquette, un Wotan. Hotter, je vous dis. Mais l’allégement du mot, l’inflexion sur telle syllabe, la liberté de l’émotion dans le plissé de ce chant qui est d’abord diction – et que Schubert prendra à la lettre, lui qui savait que Beethoven avait transfiguré le lied avant tout le monde, lieder qu’on croit aujourd’hui part mineure de son œuvre, quasi négligeable – l’élan et la défaillance, le ritardendo où le souffle passe dessus la voix, ce n’est pas une interprétation, c’est une invention.

Pour aller si loin sans jamais échapper à la partition, il fallait un pianiste aussi souple que Jan Lisiecki (et Dieu sait si Goerne fut gâté par ses « accompagnateurs »). Il faut entendre comment le jeune homme participe plutôt qu’accompagne, variant son piano, le faisant harpe, hautbois et même soprano, chantant autant que le chant noté au dessus de lui et disant aussi.

Voilà qui mettra une bonne paire de claques à ceux qui le considèrent comme un produit marketé, trop blond, trop beau, trop propre, ils en seront pour leur surdité.

Tout dans ce disque, qui est probablement le plus parfait ensemble de lieder de Beethoven offert depuis ceux de Prey, est un miracle comme le déferlement de l’année Beethoven ne laissait pas l’espérer.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven
(1770-1827)
6 Lieder von Gellert, Op. 48
Resignation, WoO 149
An die Hoffnung, Opp. 32 & 94
Lied aus der Ferne, WoO 137
Mailied, Op. 52 No. 4
Der Liebende, WoO 139
Klage, WoO 113
Adelaide, Op. 46
Wonne der Wehmut, Op. 83 No. 1
Das Liedchen von der Ruhe, Op. 52 No. 3
An die Geliebte, WoO 140 (version 1814)
An die ferne Geliebte, Op. 98

Matthias Goerne, baryton
Jan Lisiecki, piano

Un album du label Deutsche Grammophon 02894838351
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Photo à la une : © Deutsche Grammophon