Haïku ou quatrain ?

Beethoven voyait son piano comme lui-même, tout humeurs, tout à l’instant, au point même de mettre en miettes la forme sonate. Autant dire qu’il était absolument libre dans les variations, où il pouvait abandonner le thème dans des détours, sans espoir d’y revenir ; les Diabelli sont un exemple célèbre, qui en trouvent d’autres en cours de route pour les oublier illico aussi ou ne pas en vouloir autrement qu’en motifs, dans tous les sens du terme.

À ce petit jeu, les Bagatelles, genre où il dévoie les Eglogues de ses chers contemporains moraves ou les Fantaisies et Rondos de Mozart, sont des chefs-d’œuvre à part entière, d’abord parce que Schubert s’en appropria la matière volatile et les harmonies osées, ensuite parce que chez Beethoven, l’immense peut tenir sans gêne dans une coquille de noix.

Tout cela, Tanguy de Williencourt l’a saisi aussi bien qu’avant lui Georges Solchany, Alfred Brendel ou Stephen Bishop Kovacevich, mais il se garde de frotter trop brusquement ces petits silex, préférant aux étincelles un cantabile, un lyrisme que sa sonorité si naturellement belle appelait d’évidence. Chez lui, le bref est lyrique. D’une Bagatelle à l’autre, il déploie non pas la vision claire du haïku, mais les résonnances spirituelles et le récit symbolique du quatrain.

Dans ce disque parfait, finement enregistré dans l’air pur de la Mahler Saal de Toblach (Dobbiaco) par Florent Ollivier, il y a une bascule : à l’Opus 126, ce qui chante soudain, c’est le cantabile hors champ, impondérable, de l’ultime Beethoven, et alors Tanguy de Williencourt transforme son clavier en archet pour ensuite le retrouver, fringant, dans un Allegro qui piaffe. Mais le cantabile revient encore, sospeso, songeur, immense, cette prière que les paysages des Dolomites auront certainement inspirée à ce beau pianiste.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
7 Bagatelles, Op. 33
Allegretto, WoO 53
Bagatelle, WoO 54
Bagatelle, WoO 52
Bagatelle, WoO 56
11 Bagatelles, Op. 119
Für Elise, WoO 59
Bagatelle en si bémol majeur, WoO 60
Allegretto, WoO 61
Bagatelle, WoO 61a
6 Bagatelles, Op. 126

Tanguy de Williencourt, piano

Un album du label Mirare MIR492
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Photo à la une : le pianiste Tanguy de Williencourt – Photo : © Jean-Baptiste Millot