Piano de guerre

Steven Osborne ne sera pas le premier à réunir sur une seule galette – privilège accordée par la durée augmentée du compact disc – les trois Sonates que Prokofiev écrivit entre 1939 et 1944. Kun Woo Paik, le premier, les aura réunies.

Tout récemment Florian Noack faisait éclater les bombes qui font pleuvoir des accords d’explosion dans le Più mosso du premier mouvement de la 6e Sonate : on les entendait pleuvoir leur mort. Steven Osborne les stylise, faisant son clavier cubiste, cherchant non pas l’éclat mais la terreur froide, quelque chose d’implacable dont la perfection de son jeu si exact, si impeccable, accroit encore la cruauté. C’est une guerre futuriste, où la poésie de l’horreur est tout de même une poésie. Sa technique transcendante lui permet de garder jusque dans l’impressionnant decrescendo qui conduit à la coda une tension que les ultimes pages n’apaiseront pas malgré cette sensation d’apesanteur vertigineuse qu’il crée en ouvrant si grand l’espace de son clavier.

Toute sa Sixième Sonate – ma préférée d’entre les neuf je l’avoue – est saisissante par l’intensité de ses effets, la perfection de ses réalisations, mais la Septième avec ses atmosphères si contrastées, l’est tout autant, sardonique, obsessive, fulgurante, avec ses marches grimaçantes, son blues intoxiqué, son Precipitato impitoyable : Hindemith aurait pu signer cette fureur de caricature.

La Huitième, dont la lyrique symphonique échappe à tant de pianistes, est jouée morendo, dans d’incroyables teintes entre chiens-et-loups, clavier de cendre qui cherche un apaisement que la fausse pavane de l’Andante sognando refuse. Les fanfares du Finale pourront fuser, mordantes à souhait, Osborne affutant son jeu, mettant dans la victoire un rictus vinaigré par si loin de celui de Chostakovitch dans sa 5e Symphonie.

Album majeur d’un pianiste incapable de décevoir.

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour piano No. 6 en la majeur, Op. 82
Sonate pour piano No. 7 en si bémol majeur, Op. 83
Sonate pour piano No. 8 en si bémol majeur, Op. 84

Steven Osborne, piano

Un album du label Hypérion CA68298
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Photo à la une : le pianiste Steven Osborne – Photo : © DR