Grande voix

Le violon allemand était orphelin dans l’après-guerre, Gerhard Taschner, Georg Kulenkampff s’étaient tus, Adolph Busch envolé pour les Etats-Unis, Max Rostal lui aussi avait quitté le pays, établi à Londres pour enseigner, ses disques, même son Deuxième Concerto de Bartók enregistré avec Sir Malcom Sargent, ne se trouvaient guère de l’autre côté du Rhin mais une jeune fille put l’entendre sur le tourne-disques de ses parents : Edith Peinemann sut immédiatement qu’elle en serait l’interprète d’élection, ce que prouve enfin la restitution d’une bande enregistrée pour la Radio de Stuttgart en décembre 1957. Les couleurs d’automne triste, la beauté immanente du son et des phrasés, la tension du discours et derrière les splendeurs, quelque chose d’amer, tout y est, d’autant que Hans Rosbaud lui offre un contrechant expressif certain.

Voici donc réunies les bandes conservées à la RSR de celle qui fut la plus éloquente violoniste de l’Allemagne d’après-guerre. On la compara souvent, et avec raison, pour le feu, l’autorité, la présence, avec Ginette Neveu ; comme elle, elle championna le Concerto de Sibelius, le transformant en une saga de sons, et comme elle, elle grava les si nostalgiques Quatre Pièces de Josef Suk, recueil magnifique chéri par les plus poètes des violonistes.

Le coffret trop court – 5 CD seulement, on n’y trouve pas ses Concertos de Prokofiev, ni son Beethoven ni son Brahms qui firent tant pour sa célébrité – offre quelques merveilles de plus, à commencer par un Concerto de Dvořák irrésistible, à mon sens supérieur à sa gravure pour Deutsche Grammophon avec Peter Maag, écoutez comme son violon y chante éperdument, le rare Concerto de Pfitzner, admirable poème d’automne, des gravures avec son père au piano alors qu’elle était encore gamine, mais jouait déjà avec un aplomb incroyable la Suite de Reger, une Première Sonate de Schumann hantée avec l’excellente Maria Bergmann, le Tzigane de Ravel oubliant de briller pour mieux entraîner l’auditeur dans sa myriade sonore, et cette Sonate de Franck tendue, fulgurante, où la nostalgie même est un poison.

Admirable artiste. Il est temps que les autres radios d’Allemagne éditent elles aussi les archives qu’elle leur aura laissées.

LE DISQUE DU JOUR

Edith Peinemann
The SWR Studio Recordings, 1952-1965

Tomaso Antonio Vitali (1663-1745)
Chaconne en sol mineur
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Sonate pour violon et basse continue en mi majeur, HWV 373
Max Reger (1873-1916)
Suite pour violon et piano en la mineur, Op. 103a
Paul Hindemith (1895-1963)
Meditation, extrait de « Nobilissima visione » (version avec piano)
César Franck (1822-1890)
Sonate pour violon et piano en la majeur, FWV 8
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Sonate pour violon seul No. 1 en sol mineur, BWV 1001
Sonate pour violon et basse continue en mi mineur, BWV 1023
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violon et piano No. 7 en ut mineur, Op. 30 No. 2
Béla Bartók (1881-1945)
Rhapsodie pour violon et piano No. 1, Sz. 87, BB 94
Concerto pour violon et orchestre No. 2, Sz. 112**
Maurice Ravel (1875-1937)
Tzigane, M. 76 (version avec piano)
Vocalise-étude en forme de Habanera, M. 51
Josef Suk (1874-1935)
4 Pièces pour violon et piano, Op. 17
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sonate pour violon et clavier en si bémol majeur, KV 378
Robert Schumann (1810-1856)
Sonate pour violon et piano No. 1 en la mineur, Op. 105
Antonín Dvořák (1841-1904)
Concerto pour violon et orchestre en la mineur, Op. 53, B. 108*
Hans Pfitzner (1869-1949)
Concerto pour violon et orchestre en si mineur, Op. 34**
Jean Sibelius (1865-1957)
Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, Op. 47***

Edith Peinemann, violon
Robert Peinemann, piano
Heinrich Baumgartner, piano
Helmut Barth, piano
Maria Bergmann, piano
Georg Toussaint, clavecin
Hartmut Oesterle, violoncelle
*Sinfonieorchester des Süddeutschen Rundfunks
**, ***SWF-Sinfonieorchester Baden-Baden
*Hans Müller-Kray, direction
** Hans Rosbaud, direction
***Ernest Bour, direction

Un coffret de 5 CD du label SWR Classics SWR 19074CD
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Photo à la une : la violoniste Edith Peinemann, sur la photo de couverture du LP avec la Philharmonie tchèque sous la direction de Peter Maag, qu’elle aura laissée pour Deutsche Grammophon – Photo : © DR