Journal intime

Le temps du classicisme serait-il venu même pour ce journal de notre temps que sont les Quatuors de Chostakovitch ? La distance que met le Quatuor Pavel Haas dans le terrible carnet de guerre qu’est le sinistre Deuxième Quatuor (1944), qui est en fait une vraie symphonie, semble l’indiquer.

Ce que l’on perd en tension si on compare leur lecture à celle du Quatuor Beethoven, les créateurs de l’œuvre, on le gagne par un sentiment aigu de désespoir, mais comme quintessencié. Le jeu des quatre amis tchèques est admirable de suggestion, il a vraiment l’élégance du désespoir, quelque chose de sinistre mais en habit de gala : écoutez seulement la valse de la Romance.

Le 7e Quatuor est l’une des œuvres les plus intimes de Chostakovitch, c’est un petit requiem désolé à la mémoire de sa première épouse, Nina Varzar : treize minutes entre chien et loup que les Haas murmurent avant de faire tonner la fugue comme un cri. Cette fois, aucune distance, cette musique brûle.

Dans la grande nuit amère du 8e Quatuor, journal de la désillusion ultime, du quasi renoncement, écrit sous le coup de sa rencontre avec Issac Glikman lors d’un séjour à Leningrad, ils amincissent le son, sculptent un crépuscule de ténèbres dans lequel passent tels des lambeaux les fantômes de citations tirées de ses œuvres antérieures, danse étrange qui sous les archets des Tchèques devient quasiment un geste esthétisant : trop de beauté ?

Non, car derrière cette perfection, les tourments du compositeur se dessinent plus nettement. Au fond ce disque impeccable, implacable, est cruel comme l’époque qu’aura traversée, épuisé, détruit, celui qui n’aurait jamais voulu vivre dans un tel monde. Les notes de Boris Giltburg, ami et pianiste attitré du Quatuor Haas, sont parfaites.

LE DISQUE DU JOUR

Dmitri Chostakovitch
(1906-1975)
Quatuor à cordes No. 2 en la majeur, Op. 68
Quatuor à cordes No. 7 en fa dièse mineur, Op. 108
Quatuor à cordes No. 8 en ut mineur, Op. 110

Quatuor Pavel Haas

Un album du label Supraphon SU4271-2
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Photo à la une : les membres du Quatuor Pavel Haas – Photo : © DR