JSB : Univers claviers

Les grands anciens, Helmut Walcha, Gustav Leonhardt, détestaient l’idée de spécialisation dans leur pratique instrumentale. Ils se proclamaient claviéristes, à l’aise aux buffets des orgues comme devant l’univers secret du clavecin. Benjamin Alard a toujours procédé comme eux, fait plutôt rare dans sa génération où côté baroque, les clavecinistes l’ont emporté sur les organistes.

Mais s’engageant chez J. S. Bach, qui depuis ses débuts est l’objet de son art, il savait bien que les deux instruments étaient inséparables, mieux, que la pensée de Bach comme son style ne se trouvaient complets qu’à condition de toucher l’orgue comme le clavecin.

L’idée est donc d’enregistrer tout ce que Bach composa pour les claviers. Long périple commencé dans l’Église Sainte-Aurélie de Strasbourg en mai 2017 sur le magnifique Silbermann que l’on sait, et qui suivrait la chronologie.

Le premier volume est empli des audaces du jeune virtuose, Benjamin Alard y déployant des trésors de musicalité qui soulignent la spiritualité des premiers opus en les contrastant avec les œuvres de ses contemporains qui furent ses modèles, Pachelbel, les aînés de la famille Bach, Frescobaldi (comme il joue la merveilleuse Bergamasca !), Böhm évidemment, inspirateur des Chorals de son temps de Lunebourg où les lignes se simplifient, le style s’épure et qu’Alard joue avec une clarté magique.

Mais le plus beau CD – les œuvres obligent- du premier volume reste le troisième, où s’alternent le très flûté clavecin d’Emile Jobin d’après Ruckers, et le Silbermann. Clou du disque, et de tout l’album, à l’orgue le Capricio sopra la lontananza del suo fratello diletissimo, merveille de poèsie qu’on entend trop rarement sur cet instrument si propice à en propager les mélancolies et où le jeune homme retrouve la nudité émue du discours qu’y tenait au clavecin Gustav Leonhardt.

Le second volume de ce voyage initiatique vient de paraître. Adieu le Silbermann de Sainte-Aurélie, pour les débuts de la grande pérégrination hanséatique de J. S. Bach, de Lübeck à Hambourg, Benjamin Alard a choisi l’instrument de Saint-Vaast de Béthune (Freytag-Tricoteaux d’après Arp Schnitger) mais aussi un clavierorganum.

Pas de clavecin, Bach est alors tout à ses orgues. Quatre CDs où se met en place l’univers Bach dans une plénitude lumineuse, Benjamin Alard interrogeant les textes, les jouant avec un naturel confondant, musique du quotidien qu’élève son jeu d’une haute spiritualité. Hors Bach, une merveille : la grande Fantaisie sur le choral « An Wasserflüssen Babylon » de Johann Adam Reinken. Et il retrouve, comme sur le premier volume, le soprano très « knaben » de Gerlinde Sämann pour les chorals chantés.

Juste un bémol : pour le flamboiement de ces années hanséatiques, les quatre disques du second volume auraient gagné à varier les instruments, et peut-être justement en allant physiquement sur les traces de Bach, à Hambourg ou Lübeck, quitte à franchir la frontière danoise comme le fit jadis Marie-Claire Alain.

LE DISQUE DU JOUR

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
L’oeuvre intégrale pour claviers
Vol. 1 : Le jeune héritier

Pièces de Johann Michael Bach (1648-1694), Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Johann Christoph Bach (1642-1703), Johann Kuhnau (1660-1752), Georg Böhm (1661-1733), Johann Jakob Froberger (1616-1667), Johann Pachelbel (1653-1706), Louis Marchand (1669-1732), Nicolas de Grigny (1672-1703) & Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Benjamin Alard, orgue, clavecin
Un coffret de 3 CD du label harmonia mundi HMC 902450.52
Acheter l’album sur le site du label harmonia mundi ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Johann Sebastian Bach
L’oeuvre intégrale pour claviers
Vol. 2 : Vers le Nord

Pièces de Dietrich Buxtehude (1637?-1707), Johann Pachelbel (1653-1706), Johann Adam Reinken (1643?-1722) & Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Benjamin Alard, orgue
Un coffret de 4 CD du label harmonia mundi HMC 902453.56
Acheter l’album sur le site du label harmonia mundi ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : l’organiste et claveciniste Benjamin Alard – Photo : © DR